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n’eut d’abord pour noyau que deux bataillons du 8e léger, un escadron de chasseurs d’Afrique et une section de montagne, devait avoir par la suite un effectif très variable, à cause des envois ou des emprunts que lui fit alternativement la principale.

Celle-ci, partie de Mila le 9 mai, prit au nord-ouest la direction de Djidjeli, à travers le prolongement et les rameaux enchevêtrés de la chaîne des Babors. Dès le 11, le combat ne cessa plus, toujours acharné, toujours meurtrier; dans cette première rencontre, la colonne ne perdit pas moins de 16 morts et de 97 blessés. La journée du 13 fut pire ; deux compagnies d’élite du 10e de ligne avaient été détachées en flanqueurs. Tandis que des crêtes où ils se croyaient en sûreté, les hommes regardaient au-dessous d’eux le convoi cheminant à grand’peine à travers la broussaille, 300 ou 400 Kabyles, qui avaient rampé jusque-là, s’élancèrent en hurlant du taillis et firent de ces imprudens un massacre épouvantable ; les 5 officiers et 43 hommes furent décapités, 60 furent blessés ; sans l’arrivée d’un bataillon du 9e, ceux-ci comme ceux-là auraient perdu leurs têtes. En somme, 66 morts et 141 blessés durent être portés au compte de cette journée fatale. Le 16, «tirant l’aile et traînant le pied, » la colonne atteignit enfin Djidjeli ; elle y déposa 270 blessés que le général Pélissier, venu d’Alger par mer, prit à son bord et fit transporter à l’hôpital de Philippeville.

Du 19 au 26 mai, opérant du nord au sud, selon les ordres qu’il venait de recevoir du gouverneur intérimaire, le général de Saint-Arnaud fit partir de Tibaïren, dans le Ferdjioua, le général Bosquet avec deux bataillons destinés à renforcer la petite colonne du général Camou, puis il revint se ravitailler à Djidjeli. Cette seconde partie de la campagne n’avait pas été plus heureuse en résultats utiles que la première ; elle avait seulement été moins coûteuse.

Le lieutenant-colonel Durrieu écrivait d’Alger, le 5 juin : « Les journaux de l’Elysée contiennent un bulletin pompeux des opérations du général Saint-Arnaud ; je soupçonne ce bulletin d’avoir un but politique. Le commandant Fleury quitte aujourd’hui le général Saint-Arnaud. » Confident du prince-président de la république, le commandant Fleury était venu faire auprès du général une campagne secrète beaucoup plus importante, au point de vue politique, que n’était, au point de vue militaire, la campagne qu’il avait ostensiblement suivie.

Il est intéressant de noter, dans la correspondance de Saint-Arnaud, la marche et le progrès de la tentation, depuis cette lettre du 21 mars : « Fleury m’écrit qu’il a bien envie de venir faire l’expédition avec moi ; je lui réponds qu’il sera le bienvenu ; » jusqu’à celle-ci, du 6 juin, après le départ du tentateur : « Dieu sait ce