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Darlington, un établissement de tissus de laine créé par son grand-père. La fabrique était en bonne voie, et quand Edward Pease en prit la direction, elle occupait 500 ouvriers. Un incendie la détruisit en 1817 ; Edward Pease dut la reconstruire et reprendre l’œuvre à nouveau.

C’était alors un homme de près de cinquante ans, d’humeur calme et paisible, méditatif et silencieux. Ainsi que son père et son grand-père, il appartenait à la secte des quakers, fondée en 1647 par George Fox, et dont William Penn, législateur de la Pensylvanie, éloquent adversaire de l’esclavage, fut, au XVIIe siècle, le plus illustre représentant. Profondément imbu des préceptes religieux de cette secte, dont l’intolérance et la persécution des Stuarts aviva le zèle et fortifia la foi, il conserva jusqu’à la fin de sa vie et transmit à ses descendans les traits caractéristiques qui distinguent les quakers : la simplicité du costume, le tutoiement obligatoire, l’affirmation pure et simple, incompatible avec tout serment ; une répugnance marquée pour le théâtre, les jeux de hasard, la chasse; le respect absolu de la vie humaine, qui leur interdit de prendre part à la guerre, traits particuliers qui font d’eux, dans notre société moderne, un peuple à part, peu nombreux il est vrai, 300,000 aux États-Unis et 20 000 en Angleterre, mais estimé pour sa probité et sa philanthropie, s’adonnant de préférence au commerce et désignant ses coreligionnaires du nom de membres de la Société chrétienne des amis.

On compte peu de quakers pauvres, il en est beaucoup de riches. L’ordre, l’économie, la simplicité de la vie, contribuent, autant que leur probité, leur abstention systématique des procès et l’aide qu’ils se prêtent mutuellement, à assurer leur prospérité. Plusieurs sont parvenus aux situations les plus élevées et détiennent quelques-unes des grandes fortunes du monde. En Angleterre, les Pease figurent au premier rang des quakers millionnaires.

Sous ses dehors calmes et son apparence méditative, Edward Pease cachait un sens droit, un esprit clairvoyant, une volonté tenace. Ce taciturne observait, ce rêveur se connaissait en hommes ; il excellait à faire naître les occasions favorables, à rapprocher les idées, à les étayer l’une par l’autre, à en dégager l’application pratique pour atteindre le but qu’il poursuivait, sans se laisser décourager par les railleries, déconcerter par les obstacles.

En 1817, ignorant encore que, depuis cinq ans, celui qui fut plus tard le célèbre ingénieur anglais George Stephenson avait inventé sa première locomotive, Edward Pease avait conçu le projet de relier par une voie ferrée les mines de charbon de West-Auckland à la ville de Stockton. Déjà, vers la fin du XVIIe siècle,