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du libéralisme ; voilà qui est bien ; mais il ne me dit pas un mot du système parlementaire. Le système parlementaire est l’expédient, ou peut-être l’artifice, de la conception politique qui repose sur la souveraineté du peuple. Comme tel, c’est-à-dire comme n’étant pas une idée, de Maistre le néglige ; mais, comme fait, il est si considérable, il est tellement la forme universellement adoptée ou essayée d’aménagement politique chez les peuples modernes, que ce n’est pas trop d’exigence que demander la pensée de de Maistre sur cette affaire. Il ne l’a pas donnée ; cela l’eût gêné : les faits l’irritent ou l’ennuient.

La chose est bien sensible dans son livre sur l’église gallicane. Quand il a démontré qu’il faut être infaillibiliste ou hérétique, il croit avoir tout dit. En logique, c’est possible ; mais l’église gallicane, avant tout, est un état d’esprit ; c’est le sentiment que, tout en étant de l’église catholique, on est Français. Ce sentiment s’attache à certaines traditions et à certaines franchises ; mais ce n’est point là ce qui importe, c’est le sentiment qu’il faut étudier et discuter ; c’est la personnalité de l’église de France qu’il faut voir et sentir. Qu’il fût bon ou mauvais que cette personnalité existât, c’est là qu’est la question. Mais c’est une question historique, et de Maistre ne la traite point ; et quand il y touche, c’est, il me semble, pour se tromper un peu. L’église gallicane est pour lui le germe de la constitution civile du clergé. S’il en est ainsi, on peut dire que l’église gallicane s’est épanouie dans la constitution civile du clergé pour y mourir ; car ce qui est certain, c’est que c’est la constitution civile qui l’a tuée. Du moment que l’église française cessait d’être indépendante, elle devait devenir ultramontaine, et, ne pouvant plus s’appuyer sur elle-même, s’appuyer sur Rome. Il est bien joli, le passage d’une lettre à de Bonald, où, avec mille précautions oratoires, de Maistre laisse flotter sans y prendre garde une vague allusion à la jument de Roland : « … Tout ceci, monsieur, est dit sans préjudice des hautes prérogatives de l’église gallicane, que personne ne connaît et ne vénère plus que moi : reste à savoir si elle est morte et, dans ce cas (sur lequel je ne décide rien), si elle peut renaître. » Sans doute, elle était morte, mais victime de la révolution, et de Maistre ne semble pas s’en aviser, ce qui peut-être le divertirait de s’en réjouir.

C’est le sens des faits qui, souvent, lui manque ainsi. C’est pourquoi on a pu s’égayer de ses prédictions, qui, en effet, se sont trouvées presque toutes fausses. Il faut être historien pour prévoir quelquefois juste. Comme il raisonne dans l’abstrait, il fait des prophéties si générales qu’on peut très souvent les prendre au contre-pied de ses espérances. Son idée, si vraie, du reste, que toute