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les principes où il est attaché, religion, patriciat, monarchie ; ils ont inventé la philosophie matérialiste, la démocratie, les droits de l’homme et la république ; il est Piémontais ; — et il est partisan de la France invinciblement. Quand il rencontre un bon émigré, car il y en a, un émigré qui est heureux de voir les Français battre les armées étrangères, il applaudit de tout son cœur. Il ne faut pas que la coalition triomphe. Il faut que la France se sauve, même par les révolutionnaires : « Que demandaient les royalistes, lorsqu’ils demandaient une contre-révolution faite brusquement par la force? Ils demandaient la conquête de la France ; ils demandaient donc sa division, l’anéantissement de son influence et l’abaissement de son roi, des massacres de trois siècles peut-être suite infaillible d’une telle rupture d’équilibre! Mais nos neveux, qui s’embarrasseront très peu de nos souffrances et qui danseront sur nos tombes, riront de notre ignorance actuelle; ils se consoleront aisément des excès que nous avons vus, qui auront conservé l’intégrité du plus beau royaume après celui du ciel. » — Il y tient; la ruine de la France est pour lui un malheur européen. M. Vignet des Étoles souhaite le triomphe des coalisés : « Il est naturel que vous désiriez le succès de la coalition contre la France, parce vous y voyez le bien général. Il est naturel que je ne désire ces succès que contre le jacobinisme, parce je vois dans la destruction de la France le germe de deux siècles de massacres, la sanction des maximes du plus odieux machiavélisme, l’abrutissement irrévocable de l’espèce humaine, et même, ce qui vous étonnerait beaucoup, une plaie mortelle à la religion. » — s’il parle ainsi, et cent fois, c’est qu’il croit à une mission providentielle de la France: « Gesta Dei per Francos… c’est une histoire des croisades. Ce livre peut être augmenté de siècle en siècle toujours sous le même titre. Rien de grand ne se fait dans notre Europe sans les Français... » Et s’il croit à une mission providentielle des Français, c’est que c’est chez eux, dans leur histoire, qu’il a puisé ses idées politiques et sa conception de l’état, à moins qu’il n’ait trouvé après coup dans leur histoire la confirmation de ses idées, et lequel des deux est le vrai, je ne sais; mais il n’importe. Sa royauté, âme de la nation, volonté nationale prenant conscience d’elle-même dans un homme et dans une race, et poursuivant par cette race le dessein obscur du peuple ; l’unité nationale réalisée, maintenue, renforcée, défendue par une famille; et un homme étant l’état, parce l’état s’est peu à peu ramassé dans un homme : tout cela, c’est la royauté française. Son patriciat, qui n’est pas une aristocratie, qui n’a pas ou qui n’a plus de droits, qui n’est que l’œil et le bras du souverain, c’est la noblesse française. Son peuple, qui n’a pas plus de droits que les grands et qui a moins de devoirs, à qui l’on ne demande que l’obéissance et l’amour de la patrie