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vous avez vu que M. Albert Blanc, qui publie ses mémoires, le tient pour un précurseur du saint-simonisme.» — Il y avait de quoi douter de soi ou de lui. Il Allons, disait Sainte-Beuve, avec son sourire, le voilà en train de changer de parti; » d’autant mieux que lui-même, dans son article de 1851, l’avait tout doucement tiré au bonapartisme, ce qui était un peu fort, mais non pas beaucoup plus faux que le reste. — Et en vérité ce nouvel aspect de Joseph de Maistre n’était pas plus trompeur que le premier. Oui, Joseph de Maistre est l’homme de l’infaillibilité, de l’absolutisme, de l’inquisition, de la révocation de l’édit de Nantes. Il est même, si l’on veut, l’homme du bourreau, bien que cette page du bourreau, qui, à le bien entendre, n’est qu’une saillie d’humour un peu patibulaire, à la Swift, ait eu un peu trop aux yeux de nos pères le caractère d’une leçon en Sorbonne ou d’un discours du trône à prendre au pied de la lettre; car il ne fallait pas plaisanter avec nos pères. Oui, Joseph de Maistre est tout cela, et il est aussi un homme très abordable, qui n’est point séparé de nous par un fleuve de sang. Nous le rencontrerions que nous n’aurions pas peur d’être brûlés vifs ; d’abord parce qu’il est bon, quoi qu’on en dise, et un peu quoi qu’il en ait, ensuite parce qu’il est intelligent, enfin parce qu’il a de l’esprit ; et je ne sais pas laquelle de ces trois raisons est la meilleure. — Il est très bon, d’une bonté qui a plus de profondeur que d’extension, et qui ne déborde pas sur le monde, je le sais ; mais le cœur est chaud, l’affection énergique, l’attache solide, la fidélité inflexible. Il aime pieusement, toute sa vie, des personnes qui ne sont pas de sa religion, chrétiens grecs de Russie ou protestans de Suisse, et cela est bien significatif; et pour ces amis de son cœur, qui ne sont pas ceux de son esprit, il est ingénieux en bons offices et en consolations. — Il est intelligent; il sait très bien qu’on ne peut pas gouverner après la révolution française comme auparavant : « Vous médites que les peuples auront besoin de gouvernemens forts... Si la monarchie vous paraît forte à mesure qu’elle est plus absolue, dans ce cas Naples, Madrid et Lisbonne doivent vous paraître des gouvernemens vigoureux... Soyez persuadé que pour fortifier la monarchie il faut l’asseoir sur les lois, éviter l’arbitraire... » On dirait un libéral; c’est simplement un homme qui sait ce que c’est qu’un gouvernement. — Il est spirituel, homme de bonne compagnie, capable de sourires, et même d’échappées de bonne humeur un peu libre, dans la mesure qui sied, c’est-à-dire rarement, mais sans pruderie : « En vérité ce que je vous demande vaut à peine la galerie de Mlle Amphitrite (un vaisseau qu’on avait lancé la veille avec quelque difficulté) qui fit hier tant de grimaces, comme toutes les femmes, pour la chose du monde dont elle avait le plus d’envie. » Il demande à son gouvernement un secrétaire de légation. Il