Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rouge? les officiers de terre et de mer qui ont eu et qui auront tant à se louer d’elle ne peuvent-ils, à partir du grade de capitaine, abandonner sur leur solde un son tous les trois jours, moins que le son de poche du soldat, pour aider à la construction des ambulances où plus tard ils seront recueillis? Il suffirait qu’un cercle, qu’un état-major de régiment ou de navire donnât l’exemple pour que chacun s’y conformât, car en terre de France, le bien est contagieux. La question est à étudier, car jamais une Société de secours aux blessés ne sera assez riche, si elle veut remplir sa mission qui n’a point de limites, puisque les maux de la guerre n’ont point de bornes. Ce n’est pas seulement à notre pays que je parle; je voudrais que ma voix fût entendue, fût écoutée de toute nation qui, derrière le campement de ses armées, fait flotter l’étendard de la Croix rouge.

J’estime aussi qu’il serait bon que, sur ce problème et sur bien d’autres, les délégués des diverses sociétés de secours aux blessés militaires fussent appelés à discuter en commun. Les réunions internationales sont beaucoup trop rares: deux seulement depuis la paix de Francfort ; ce n’est pas assez. Tous les ans, comme certains congrès littéraires et scientifiques, les Croix rouges devraient se réunir, ne serait-ce que pour se communiquer les progrès accomplis, en préparer de nouveaux, entretenir leur mutuelle émulation et stimuler leur zèle. En se fréquentant, en échangeant des pensées inspirées par l’amour du prochain, en s’efforçant d’éveiller la commisération pour le soldat blessé, bien des préjugés vivaces s’étioleront, et la haine, mauvaise conseillère, s’affaissera d’elle-même. Tout en conservant l’amour-propre national, les délégués apprécieront les fortes qualités des autres nations, et l’estime remplacera le dédain qui est rarement justifié. A force de chercher à amoindrir les conséquences des luttes à main armée, de les considérer dans tout leur aspect et dans toute leur horreur, ils en arriveront à trouver la guerre si laide, si peu chevaleresque avec les engins modernes, si antihumaine par ses résultats, qu’ils iront répandre dans leur pays les idées pacifiques dont ils seront animés. Si l’armée de la paix s’accroît par leur influence, l’armée de la guerre restera l’arme au pied, et les grandes ruines seront évitées pour longtemps. Les mandataires des sociétés de secours aux blessés peuvent devenir les apôtres de la charité universelle, fondée sur le respect de la vie humaine ; car le meilleur moyen de remédier aux maux de la guerre, c’est de les empêcher de se produire. Cette vérité ne serait pas désavouée par M. de La Palisse, je ne l’ignore pas, et je sais aussi qu’il coulera encore bien des flots de sang avant qu’elle n’ait force de loi ; mais il y a certaines paroles qu’il ne faut cesser de répéter ; elles finissent par pénétrer les âmes les plus rebelles :