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d’aujourd’hui, devenu colonel, étendu sur le lit d’ambulance, soigné par l’infirmerie de la Croix rouge, se souviendra qu’il a franchi des haies et fait des voltes pour venir en aide à ceux qui devaient être blessés au service de la France.

En dehors de sa réserve, dont j’ai fait connaître la valeur et l’emploi usufructuaire, la fortune la plus sérieuse de notre Croix rouge consiste dans les cotisations annuelles ; or, ces cotisations ne peuvent être qu’en rapport avec le nombre des souscripteurs. Ce nombre, j’ai honte de le dévoiler, car il est misérable : 22,000 pour toute la France, qui compte 200 comités provinciaux gravitant autour du conseil central siégeant à Paris. 22,000! la proportion est dérisoire, non-seulement avec le chiffre de la population, mais avec celui de nos soldats. Comment n’a-t-on pas compris qu’en ce temps de service militaire obligatoire, le service des secours aux blessés était obligatoire aussi ? Est-ce donc que la cotisation est si onéreuse qu’elle effraie les bourses moyennes et ferme les petites bourses? Non pas. Membres fondateurs : 30 francs par an; membres souscripteurs, 6 francs par an. Pour les premiers, trois sous tous les deux jours; pour les seconds, un son tous les trois jours. Franchement, c’est de la philanthropie à bon marché, et même au rabais; il faut être bien avare, bien indifférent ou bien misérable pour s’en refuser le plaisir. J’ai été plus qu’étonné en constatant que les registres ne contenaient pas la liste d’un million au moins de souscripteurs.

Puisque le budget de la guerre est permanent, celui de la charité militaire doit l’être aussi. Ce sacrifice, si léger qu’il serait nul pour le tiers de la population, chacun a le devoir de se l’imposer volontairement, car au jour de la guerre toute famille aura ses représentans engagés au feu ; que deviendront-ils si l’on n’a versé la prime de bienfaisance qui leur assurera les soins dont leur vie peut dépendre? Aux jours de la guerre de cent ans, en 136â, il n’y eut femme de France qui ne filât pour aider à payer la rançon de Duguesclin; aujourd’hui, quelle femme de France refuserait d’économiser 6 francs sur ses besoins ou sur ses fantaisies, afin de panser les blessures de ceux qui tombent en faisant face à l’ennemi ? Quel homme ne se priverait de quelque plaisir pour venir en aide à ceux qui sont frappés en protégeant son existence, son champ, son outil, ses loisirs et son honneur ? Tout argent versé entre les mains de la Société de secours acquitte la dette contractée envers ceux qui se battent pour sauvegarder le foyer commun. Cette contribution de la charité patriotique, qui allège les charges de l’impôt du sang, ne peut-on l’établir sans léser aucun intérêt, par libre consentement? Les entrées dans les cercles ne peuvent-elles être majorées de la petite somme de 6 francs qui seraient destinés à la Croix