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le but visé est le même. Abondance de biens ne nuit pas, on le dit et je le crois ; mais, en guerre, divergence d’action peut nuire ; car les efforts risquent de s’égarer et de demeurer stériles, s’ils ne convergent pas vers le même point. Quelle cause a déterminé un certain nombre de femmes à se constituer en groupes isolés? je l’ignore. Le cœur des femmes est, il me semble, trop haut placé pour avoir été mu par des considérations secondaires. Les questions de rang, de situation sociale, de relations du monde, n’y sont pour rien, j’en suis persuadé. Dans les communautés religieuses de bienfaisance, les lavandières côtoient les duchesses et les appellent : ma sœur; elles sont égales l’une à l’autre, sous des guimpes semblables et dans des actes pareils. La charité, comme la religion, confère l’égalité à ceux qui la pratiquent ; dans l’œuvre du bien on ne doit considérer que le bien ; il n’y a ni sectes ni castes : le gros sou de l’ouvrière a autant de valeur morale et souvent plus que le double louis de la marquise. C’est cela que Tonne doit jamais oublier lorsque l’on veut participer aux bonnes œuvres; au seuil des institutions secourables, il convient de laisser tomber ses préjugés. Est-ce donc la politique, l’odieuse politique, qui a rendu divergentes des volontés animées d’intentions secourables? Une telle hypothèse est inadmissible. Aristocrates, démocrates, ce sont là des dénomination vaines qui servent peut-être à constater les habitudes d’opposition chères à notre race, mais que l’on dédaigne promptement lorsque l’honneur ou le salut de la patrie est engagé. Les anciens zouaves pontificaux n’ont pas fait mauvaise figure pendant la guerre franco-allemande, non plus que les mobiles bretons, qui priaient en allant au combat côte à côte avec les soldats républicains chantant la Marseillaise. Petites chapelles ne valent pas une grande église, et les tentatives disséminées restent fatalement inférieures à un effort d’ensemble. Cette sorte de rivalité établie sur le même terrain, sur un terrain où l’action doit être combinée si l’on veut obtenir un grand résultat, cette rivalité qui n’a rien d’inquiétant en période de paix, aurait de graves inconvéniens à l’heure des hostilités ; il n’y a pas lieu, je crois, de s’en préoccuper, car la guerre la ferait cesser. On rappellerait le décret de Gambetta, et tous les groupes dissidens créés en vue de venir en aide aux victimes des batailles seraient rattachés hiérarchiquement à la Société de secours aux blessés des armées de terre et de mer. La Société elle-même, en vertu du décret du 3 juillet 1884, serait soumise à la haute direction du ministre. De cette façon, il y aurait unité d’action, ce qui est indispensable à la guerre, et le secours aux blessés en est un des plus précieux élémens.