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examens pour les candidats aux honneurs du brancard de guerre, ce livre en sera le programme. Je ne doute pas qu’il n’ait été lu et médité par les douze cents brancardiers-infirmiers qu’un engagement volontaire rattache actuellement à la Société de secours, mais dont le nombre serait plus qu’insuffisant si l’ère des batailles s’ouvrait encore.

Les femmes, — la plupart du moins de celles qui, s’étant données à la Croix rouge, sont prêtes à la suivre, — échappent aux nécessités imposées à l’homme. Elles ne sont qu’exceptionnellement astreintes à ces fonctions rétribuées d’où dépend le pain quotidien. Surveillance de ménage et de famille, devoirs de monde, réunions de plaisir, cela n’exige ni un travail assidu ni une distribution de temps dont on ne peut rien distraire. Chez la femme la plus mondaine et la plus « répandue, » chez la femme la plus sédentaire et la mieux consacrée aux soins de la maison, il reste toujours une part de loisir assez considérable, et cette part on la consacre à la Société de secours, qui en profite et en fera profiter les blessés. Dans les heures de solitude, qui ne sont pas rares au cours de la journée, lorsque les enfans prennent leurs leçons et que le mari est hors du logis pour ses affaires, le soir, autour de la table éclairée par la lampe, il est si doux de travailler pour les malheureux, il est si facile de montrer l’agilité de la main en taillant les bandes en coupant les compresses, en ourlant les serviettes à pansement, et même en tricotant le gilet de laine que le convalescent sera heureux d’endosser en sortant de l’hôpital. J’ai vu plusieurs femmes, et c’étaient de grandes dames, — comme Buridan disait dans la Tour de Nesle, — qui se réunissaient pour coudre la grosse toile, dure à leurs doigts délicats, la toile revêche des draps destinés aux couchettes des ambulances. Par ce travail de lingerie qui, peu à peu, accumule des richesses où les victimes de la guerre trouveront l’apaisement et le bien-être corporel, la femme est en relation constante avec la Croix rouge; elle en est la pourvoyeuse et l’économe, elle en est la perpétuelle bienfaitrice. Plus tard, lorsqu’elle prendra son poste d’infirmière aux chevets sanglans, peut-être retrouvera-t-elle avec émotion les pièces de pansement qu’elle aura confectionnées elle-même et qui lui rappelleront les heures paisibles employées à préparer les instrumens de salut que sa charité utilise. Elle aura été ouvrière d’infirmerie avant d’être infirmière, avant de faire la correspondance du pauvre soldat dont elle aura à prendre soin et qui voudra recevoir des nouvelles du « pays. » Cette triple obligation, dont l’une est incessante et à laquelle la paix n’enlève rien de son importance, est réservée aux femmes de la Croix rouge. On le leur a expressément