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à créer une organisation qui est bien près d’être irréprochable. L’exemple a été donné ; on n’a eu qu’à s’y conformer. Le marquis de Forbin d’Oppède, président de la quinzième délégation régionale, chargée de veiller sur le territoire occupé par le quinzième corps d’armée[1], a fondé dans chacun des départemens dont se compose sa circonscription, — j’allais dire sa juridiction sanitaire, — un comité ; dans chacun des cantons du département, il a institué un correspondant choisi parmi les notables personnes. Les correspondans cantonaux transmettent les observations et les demandes au comité départemental, qui en donne connaissance au président de la délégation, lequel en réfère au conseil central. C’est l’organisation même de l’enquête charitable et, par conséquent, de la distribution des secours : « Par ce mécanisme, a dit le duc de Nemours dans un de ses rapports, il n’est pas de hameau où notre œuvre ne puisse être appelée à soulager une misère, pas une partie de la France où elle ne répande, avec les preuves de notre action pendant la paix, les principes de charité dont la Croix rouge est le symbole. » Au premier appel de guerre, les correspondans de canton réunissent les objets recueillis dans les communes et les adressent au chef-lieu de la délégation, d’où ils sont dirigés selon les instructions émanant du conseil central. On a ainsi créé un système de canalisation bienfaisante par laquelle le plus petit village est en relation directe avec Paris où sont les magasins-généraux, la réserve du matériel, la caisse et le moteur qui donne l’impulsion à tous les adhérens de la Croix rouge. Existe-t-il encore une seule bourgade de France qui n’ait entendu parler de la Société de secours aux blessés ? Je ne le crois pas.

Dans l’état actuel de la civilisation, qui semble être l’étude des moyens les plus propres à employer pour procéder scientifiquement à une boucherie générale, le premier devoir d’un peuple est de se préparer à la guerre, s’il ne veut être écrasé dès la première rencontre. Dans les divers pays d’Europe on y songe, on s’y applique; l’art de tuer fait tous les jours des découvertes dont l’homme s’enorgueillit et dont l’humanité se lamente. Les anciennes méthodes ont été renouvelées, car elles n’étaient plus en rapport avec les progrès modernes, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas assez meurtrières : aux prochaines batailles, les survivans seront moins nombreux que les morts ; l’ange exterminateur passera sur les armées, la vieille Bellone battra des mains et rira de joie en comptant les monceaux de cadavres. Les moyens sanitaires destinés à réparer une partie du mal ont donc été augmentés dans une certaine proportion,

  1. Bouches-du Rhône, Alpes-Maritimes, Var, Basses-Alpes, Vaucluse, Ardèche, Gard, Corse.