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était indocile et tout près de faire parler la poudre ; on la surveillait, car son agression eût été à redouter, si, à ce moment même, elle n’avait été décimée par la fièvre. Un médecin-major partit en reconnaissance, n’ayant d’autres armes que du sulfate de quinine ; il s’attaqua à l’ennemi, il combattit pour l’humanité, et il se trouva qu’il avait fait d’emblée une conquête qui, sans lui, eût peut-être coûté bien du sang. C’est la quinine de k Société de secours aux blessés qui fut victorieuse ; elle mit la fièvre en fuite, et, du coup, s’empara de toute une tribu en lui rendant la santé. C’est un peu l’histoire du lion d’Androclès. Les barbares, ainsi que nous appelons les hommes qui ont d’autres mœurs que les nôtres, résistent à la force, se révoltent contre la violence et se donnent parfois sans esprit de retour, pour reconnaître un bienfait. C’est un genre de civilisation qui en vaut bien un autre.

Du 10 mai 1881 au 9 mars 1882, c’est-à-dire en moins d’un an, le conseil central de la Société dirigea quarante-deux expéditions d’objets sur la Tunisie, sans compter trois expéditions de matériel directement faites par les comités de Lille, de Calais et de Bordeaux. Ce ne sont pas seulement les campemens disséminés dans la Régence, les ambulances temporaires établies çà et là pour recueillir les malades et les blessés qui profitèrent de la générosité de notre Croix rouge, ce fut l’hôpital même de Tunis qui se trouva heureux de participer à ces largesses secourables et qui les méritait, car plus d’un de nos soldats y avait trouvé un asile et des soins. Dans cette œuvre d’expansion française, qui se termina par l’établissement de notre protectorat sur la Tunisie, la Société de secours aux blessés des armées de terre et de mer eut sa part d’influence, et j’oserai dire sa part de gloire, de cette gloire pacifique, humaine et civilisatrice qui est la meilleure de toutes. Non-seulement elle a aidé à soulager ceux qui souffraient, mais elle a calmé les rancunes, apaisé les ressentimens, désarmé des projets d’insurrection en portant le salut là où l’on redoutait la guerre.

De même que, pour garantir l’Algérie de toute incursion des tribus orientales, on a dû s’emparer de Tunis, de même la possession de la Cochinchine nous a engagés à faire la conquête du Tonkin. Ce qui résultera plus tard de ce contact et de cette lutte avec la race jaune, si nombreuse, si alerte, si apte aux éducations rapides, sera peut-être grave pour le monde européen, mais ce n’est point le lieu de discuter cette question grosse d’éventualités. Ici nous ne faisons point de politique, nous ne nous occupons que de bienfaisance ; ce qui n’est pas la même chose. Le terrain seul sur lequel nos marins et nos soldats allaient combattre est tellement malsain, si fréquemment envahi par les épidémies de choléra et de fièvres, baigné d’humidités amollissantes, selon les saisons, ou brûlé par un