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tuiles dégringolant au long du toit, du crépitement de l’averse fouettée par l’ouragan. De larges gouttes d’eau et de grêle tombaient par la cheminée et grésillaient dans la flamme. Combien alors me pénétrait doucement l’atmosphère attiédie de mon humble logis, le calme caressant des objets familiers rangés en ordre autour de moi ! Un léger frisson de volupté paisible me chatouillait agréablement: — «Va! démène-toi... Rugis à ton aise, bête brute ! » pensais-je en écoutant au bas des portes, à toutes les fissures des volets, le souffle haletant de la bourrasque, comme si quelque mufle formidable poussait du dehors contre les clôtures ; fais ton sabbat ! je ne te crains pas. Ma maison vieillotte et décrépite en a vu bien d’autres... Et son maître aussi... Combien de fois t’avons-nous entendue rugir ainsi, ô tempête d’automne! rouler tes tourbillons à travers la lande et venir te briser ici, contre cette misérable bicoque!.. Combien de fois me suis-je endormi bercé par ta chanson d’enfer, depuis les lointaines années de mon enfance !.. Car, j’ai été enfant, moi aussi; j’ai porté des robes comme une fille et mangé des tartines de confitures qu’on m’obligeait de tenir à l’envers les jours où je n’avais pas été sage... Et je me revoyais, dans cette même salle, entre mon frère à peine plus âgé que moi et ma petite sœur Loulou, toujours blottie entre les jambes de mon père. Je le revoyais aussi, trait pour trait, le vieux marin, avec ses cheveux blancs frisés court, son visage hâlé, sa large poitrine bien ouverte, en avant, comme pour faire toujours face au danger, et cette manche repliée sur le bras gauche mutilé. Il nous contait ses voyages, ses combats, ses naufrages, tandis que ma mère travaillait à quelque ouvrage de couture, penchée vers la lampe... Elle était petite, avait l’air très jeune et craintif... Tout ce que j’ai pensé ce soir-là est resté ineffaçablement gravé dans ma mémoire. Jusqu’à Marengo, notre chat, et Laska, la grande chienne épagneule couleur canelle, je les revoyais tous !.. Et tous, maintenant, bêtes et gens, étaient morts... La douceur traîtresse de ces souvenirs m’avait attendri, et pour faire diversion, car je hais l’attendrissement, je me mis à préparer mon thé, à le doser méthodiquement selon ma coutume ; mais quand l’écluse aux souvenirs est ouverte, ne la referme pas qui veut... C’était comme un défilé de tableaux de jeunesse...

Je faisais mon droit, j’étais à Rennes, et... J’avais une maîtresse. Oui, moi, Charles Lambel, receveur de l’enregistrement en retraite et marguillier de ma paroisse, j’ai eu jadis une folle maîtresse. Oh ! cette Lolotte !.. Nous eûmes un jour une fameuse idée : nous décidâmes de donner une grande soirée dans ma chambre d’étudiant à nos amis des deux sexes, avec accompagnement de thé, de gâteaux et de tartines.