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un peu peut être pour complaire à M. de Bismarck, pour faire cesser la froideur qui existe par des raisons intimes encore plus que par des raisons politiques entre l’Angleterre et l’Allemagne, le ministère de lord Salisbury est entré le premier dans la coalition : il a signé une convention et il est prêt à l’exécuter. Le Portugal, qui a des intérêts dans ces parages, semble aussi avoir promis son concours dans le blocus de la côte d’Afrique. La France, sans refuser absolument sa coopération, ne peut certainement la prêter que dans des conditions limitées, en faisant ses réserves sur le droit de visite qu’elle n’a jamais livré. C’est ce qui résulte de plus clair jusqu’ici de la publication des premiers actes diplomatiques relatifs à cette affaire, comme aussi des explications données par lord Salisbury dans le parlement anglais, par M. le ministre des affaires étrangère Goblet dans notre parlement. Au demeurant, c’est une entreprise qui commence dans les conditions les plus singulières,)es plus équivoques, dont on ne peut démêler ni le vrai caractère, ni les proportions, ni les suites possibles. Elle est inévitablement pleine d’obscurités et d’arrière-pensées ; elle suppose un accord qui ne peut exister, qui, dans tous les cas, ne pourra pas exister longtemps, parce que ni les vues, ni les traditions, ni les intérêts ne sont les mêmes.

La raison ostensible, le mot d’ordre avoué de cette démonstration navale en apparence si imposante, c’est la répression du trafic des esclaves. On tente une croisade contre les négriers, contre le commerce des créatures humaines. Sur ce point, l’accord est bien facile entre des états civilisés, rien n’est plus simple que d’ordonner un blocus ; au-delà, si on ne veut pas se retirer après avoir perdu son temps devant une côte de cinq cents lieues, si on veut agir sérieusement, on ne s’entendra plus ni sur ce qu’il y aura à faire, ni sur la manière de traiter avec cette ombre de souverain, le sultan de Zanzibar, ni sur les gages ou les garanties qu’on voudra prendre. L’Angleterre, qui a momentanément tout subordonné au désir de nouer une action avec l’Allemagne, qui cependant ses intérêts ou ses droits, ses traditions de protectorat, ses missionnaires dans cette partie de l’Afrique, n’est point déjà sans éprouver des inquiétudes. Elle ne se lance pas sans quelque anxiété dans une entreprise où la répression de l’esclavage peut cacher pour elle bien des pièges. Lord Salisbury lui-même, tout en affectant la confiance, s’est étudié à limiter la portée de l’action qu’op engage, à bien spécifier qu’il ne s’agit que d’une démonstration navale, à exclure toute idée d’opérations plus étendues, d’un débarquement. Évidemment l’Allemagne a d’autres pensées et d’autres desseins. Elle a d’abord à venger le massacre de ses nationaux ; elle a aussi à réparer le désastre de sa compagnie de l’Afrique orientale ruinée dans ses opérations et dans ses possessions, chassée