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tantôt c’est du côté de la Russie que se tournent tous les soupçons. Si la Russie négocie un emprunt dans un intérêt tout spécial et tout intérieur, elle ne peut manifestement, avoir d’autre pensée que de se préparer à la guerre! Si le gouvernement russe déplace quelques divisions ou donne une organisation nouvelle à son armée, l’intention est encore plus évidente! Les stratégistes de la presse allemande ne s’y trompent pas, ils ont le secret de ce qu’ils appellent les « dislocations» des troupes russes.

Ce qui s’est passé l’an dernier, à pareille époque, vient de se reproduire cette année encore, tout récemment, à propos de quelques mesures militaires qui ne sont sans doute que l’application méthodique et suivie d’un système adopté par le ministère de la guerre de Saint-Pétersbourg. La Russie, qui veut sauvegarder l’indépendance de sa politique du côté de l’Occident, et qui ne le cache pas, qui tient à ne point être prise au dépourvu auprès de deux empires puissamment armés, la Russie, en effet, poursuit depuis quelque temps une certaine réorganisation de ses forces. Elle a quinze corps d’armée, elle en a formé deux de plus avec des divisions empruntées aux corps qui existaient déjà. Elle a modifié en même temps, dans une certaine mesure, la distribution de ses troupes, créé de nouveaux centres militaires et essayé de donner plus de cohésion à son organisation militaire. Elle n’a ni augmenté ses forces d’un soldat ni laissé entrevoir la moindre intention agressive. Elle s’est bornée à établir, dans des conditions nouvelles, le groupement de ses corps, une répartition permanente de ses armées. Elle n’a fait derrière sa frontière que ce que l’Allemagne fait depuis longtemps. Aussitôt cependant les journaux allemands, les propagateurs de paniques, se sont hâtés de donner le signal d’alarme, de représenter ce travail de réorganisation russe comme une menace, et en Autriche, où l’on se sent toujours plus en péril, des journaux de Vienne et de Pesth ont eu l’air de partager l’émotion des journaux allemands. Ni les uns ni les autres n’étaient probablement bien sincères. Le plus clair est que toutes ces criailleries ne pouvaient être qu’une tactique, une affaire de circonstance, que les armemens russes sont venus à propos pour faire passer à Berlin de nouveaux crédits pour la marine et pour l’armée, pour faire accepter à Vienne les nouvelles charges militaires que le gouvernement autrichien demande à son parlement. C’est l’éternelle tactique, elle réussit toujours!

Au fond, les gouvernemens qui laissent s’ouvrir ces bruyantes campagnes de journaux, qui les ont souvent encouragées pour en profiter, n’ignorent pas ce qu’ils en doivent penser. Ils sont fixés sur le caractère et la portée des « armemens russes. » Ils savent bien que, si la Russie paraît assez résolue à maintenir son ascendant et l’autorité