traités de Vienne, à changer la face de l’Europe. Mais il estimait que cette guerre ne pouvait aboutir qu’avec la coopération de la Prusse et de l’Autriche. Il pensait dès ce temps que la Prusse était un peu maigre, il ne demandait pas mieux que de lui donner plus de corps. Que désirait-elle? la Saxe ou le Hanovre? Elle n’avait qu’à parler, il serait charmé de lui être agréable. Quant à l’Autriche, il lui abandonnait de grand cœur les provinces danubiennes, la Bosnie, la Servie. Il espérait qu’en retour, on consentirait à émanciper les Lombards, à restaurer le royaume de Pologne et à procurer à la France un dédommagement sur le Rhin ou ailleurs. « j’étais le premier prince, nous dit le duc, à qui l’empereur confiât ses pensées secrètes avec si peu de réserve, et, après de telles déclarations, je ne pouvais douter qu’il ne trouvât beaucoup de choses à redire à la carte de l’Europe. Il considérait la question d’Orient comme très propre à établir pour tout le monde un système de compensations. Il posait tour à tour son doigt sur l’Italie, sur la Pologne, et l’idée d’un empire Scandinave lui semblait digne d’être prise en considération. Il trouvait bon que la Prusse s’agrandît en Allemagne, il tenait la confédération germanique pour un édifice aussi caduc que le système politique de la péninsule de l’Apennin. L’homme qui me parlait ainsi était l’empereur des Français, et il était sur le point de s’engager dans une grande entreprise avec un programme conservateur en apparence, puisqu’il allait exposer la vie de milliers de citoyens français pour la prétendue intégrité de l’empire ottoman. »
Le prince Albert reprochait à l’empereur d’être indifférent aux questions du jour, de s’intéresser médiocrement aux affaires courantes, de les laisser débrouiller tant bien que mal par ses ministres, et de n’avoir de goût que pour les horizons lointains, de vivre toujours dans l’au-delà. Il avait un défaut plus grave : son occupation favorite était de battre les buissons, et ce n’est pas lui qui a pris les oiseaux. Le duc Ernest affirme que les confidences de Napoléon III lui causèrent une surprise mêlée d’épouvante. Je croirais plutôt qu’elles le plongèrent dans une douce rêverie, que, pendant quelques instans du moins, il éprouva une superstitieuse admiration pour cette baguette magique qui bouleversait le monde, déplaçait comme en se jouant les bornes des états, ressuscitait des peuples morts, faisait sortir de terre des trônes et des couronnes. Quelques jours plus tard, l’impératrice, qui s’amusait, elle aussi, à refaire la carte de l’Europe, lui confia son désir de donner l’Espagne au roi-régent de Portugal, à Ferdinand de Cobourg. Il lui répondit que tout prince serait heureux de recevoir une couronne de ses belles mains, et il lui demanda en riant si elle n’en avait pas une à lui offrir. On se donne quelquefois l’air de plaisanter, et c’est une manière de cacher son émotion.