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Prusse au libéralisme, il s’occupait avec autant d’ardeur de convertir l’Allemagne à la réforme fédérale, à la politique unitaire, à l’hégémonie prussienne. Il travaillait à grouper autour de lui tous les libéraux allemands. Fier de sa popularité croissante, il ne craignait pas de jouer au tribun : si petit qu’il soit, un prince qui possède, comme les empereurs romains, la potestas trihunicia, est un personnage avec lequel il faut compter, une puissance. Il ne lui déplaisait pas qu’on l’eût surnommé le duc radical, qu’on l’accusât à Vienne d’avoir le diable au corps et dans les yeux, qu’on se plaignît que Cobourg fût un nid de démocrates, un mauvais lieu où, avec l’assentiment du maître de la maison, se tramaient de ténébreux complots. Il était en relation d’amitié avec tous les journaux influens, il écrivait, il parlait, il rédigeait des programmes, des rapports, des mémoires, il patronnait des associations, il devint le chef avoué du fameux Nationalverein qu’il avait tenu sur les fonts du baptême.

Si actif, si intelligent, si industrieux qu’il fût, soit que sa méthode fût mauvaise ou que la fortune l’ait mal servi, il n’est pas arrivé à ses fins. Il était écrit qu’après avoir été à la peine, il ne serait pas à l’honneur, que l’hégémonie prussienne serait imposée à l’Allemagne par un homme qu’il goûtait peu, par un grand politique dont le souverain bon gens ne s’est jamais payé de paroles. Ce grand homme d’état, qui apparaissait au duc Ernest comme un génie malfaisant, a toujours méprisé les tribuns, et il n’entendait pas que le Nationalverein patronné par le duc de Cobourg, disposât des destinées de la Prusse, en lit sa métairie ou son fief. Il se souciait peu de l’opinion, il ne croyait pas à l’efficacité des sympathies, il a créé l’empire allemand par une méthode un peu brutale, et après avoir bravé les haines, après avoir vu les peuples et les politiciens s’ameuter contre lui, il a aujourd’hui la joie de voir à ses pieds tous ceux qui jadis l’avaient traité de matamore et de casse-cou. — « Les dilettanti politiques, a-t-il dit un jour, me font l’effet de ces naïfs habitans des plaines qui font pour la première fois une excursion dans les montagnes. Quand ils aperçoivent une cime, rien ne leur semble plus aisé que de la gravir ; ils ne croient pas même avoir besoin d’un guide; à peine sont-ils en route, ils rencontrent des ravins, des précipices, et les plus belles harangues du monde sont de peu de secours pour franchir un précipice. C’est une erreur dangereuse, mais fort répandue aujourd’hui, que de s’imaginer que, dans les affaires d’état, les vérités qui échappent au bon sens de l’homme du métier se révèlent par une sorte de vision intuitive au dilettante politique. » Le duc Ernest ne fut jamais pour M. de Bismarck qu’un visionnaire ou le plus intelligent des dilettanti.

Quand on n’a pas trouvé à Berlin ce qu’on y cherchait, et un emploi