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de ces animaux et en régale les bateliers de quelque dahabieh. Lorsque, en 1882, le choléra s’abattit d’une façon cruelle sur l’Egypte, le khédive visita, en compagnie de ses ministres, qui le suivaient de fort mauvaise humeur, les villages les plus éprouvés par le fléau.

A l’exception du grand Méhémet-Ali, le véritable fondateur des écoles égyptiennes et des premières missions en France, il n’est pas de khédive qui se soit autant que lui occupé de répandre les bienfaits de l’instruction dans le peuple. À ce sujet, il raconte volontiers l’anecdote suivante : « Me trouvant un jour à Helwan, je vis un homme qui, sur la place du Marché et un papier à la main, embrassait avec effusion un jeune garçon. Ses transports étaient si bruyans que je lui en demandai la cause. — Voici pourquoi j’embrasse si fort mon fils, me dit-il; il vient de découvrir dans les chiffres de cette note une erreur de 100 livres à mon préjudice; sans lui, elles étaient perdues, car je n’eusse pu la vérifier, ne sachant ni lire ni écrire. Grâce soit rendue à notre khédive, qui a voulu que mon fils allât à l’école! » Si pareille réponse avait été faite au calife Aroun, il nous l’eût certainement racontée, et il n’eût pas éprouvé une émotion plus douce que celle éprouvée par son altesse Tewfik. Il aime à répéter le moyen bien simple qu’il emploie pour faire prendre le chemin des écoles aux enfans de ses fermiers, et ces enfans sont nombreux. Il les habille à ses frais, puis il les envoie à l’instituteur le plus voisin. Aussitôt les pères de famille, qui résilient non loin des fermes khédiviales, se hâtent d’en faire autant par amour-propre, et un centre d’instruction se trouve ainsi créé.

Le khédive par le très correctement le français, mais, par momens, il y met de l’hésitation. Est-ce pour chercher un mot qui rende très exactement sa pensée? On m’assure que cette hésitation se retrouve dans ses actes, conséquence d’un manque d’énergie et de fermeté... On suppose bien que ce n’est pas la seule ombre qu’il y ait à mettre dans son portrait, que trouveront trop flatté peut-être ceux qui regrettent Ismaïl et ses royales largesses. Je déclare que, pour le composer, je me suis servi, sans aucun parti-pris, des couleurs de diverses palettes. On lui reproche de se tenir à l’écart de son armée, d’éviter de la commander, d’avoir faibli en diverses circonstances, comme au temps de l’insurrection d’Arabi, et, enfin, de supporter avec trop de résignation la présence des Anglais sur son territoire et leur ingérence brutale dans les questions qui touchent à la direction intérieure du pays.

Je n’ai nullement mission de défendre le khédive d’Egypte, et je suis d’autant moins porté à le faire, malgré l’accueil bienveillant dont il m’honora, qu’il n’aime ni la France ni les Français[1]. Il

  1. Voici une preuve de la partialité du khédive en faveur des Anglais. Le 8 février dernier, M. le comte d’Aubigny présenta ses lettres de créance, en rappelant, dans son discours, les services rendus par la France à l’Egypte. « Oui, répondit l’altesse aussitôt, je n’oublie pas les services rendus par les Européens. »