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il resta sous le poids d’un profond abattement. Il fit appeler son successeur et lui remit le khédiviat. Le lendemain, il quittait l’Egypte sur le yacht Mahroussa. Comme le dernier des rois maures qui fondit en larmes en perdant de vue le Véga de Grenade, de même le prince déchu sentit son cœur se briser en voyant disparaître à l’horizon les blanches murailles d’Alexandrie. Les reverra-t-il?

Le 26 juin 1879, à quatre heures du soir, Mohamed-Tewfik fut proclamé khédive ; il monta à la citadelle où il reçut, selon l’usage, les félicitations du corps diplomatique, des ulémas et des autorités militaires et civiles. Ainsi se fit, sans révolution, cette transmission du pouvoir. A Alexandrie, au Caire, la population et l’armée acclamèrent le nouvel élu, ce qui ne voulait rien dire, car cette même population, qui avait acclamé Ismaïl-Pacha à son avènement, ne manqua pas de l’insulter lorsque, dépossédé, fugitif, il s’embarqua sur la Mahroussa. Ismaïl-Pacha étant encore de ce monde, il serait donc prématuré de porter un jugement sur lui. Toutefois, il est permis de supposer que l’histoire ne fera pas de sa personne un éloge pompeux. Elle lui reconnaîtra une grande générosité, mais dont l’argent de ses sujets avec celui qu’il empruntait à tout venant faisait les frais; elle dira qu’il eut le goût des grands travaux, des conceptions à rendre jaloux un Haussmann ou un Alphand, mais elle lui reprochera d’avoir livré, pour les satisfaire, son royaume à des créanciers rapaces, à des étrangers aussi envahissans que ces oiseaux de rapine qui, au Caire, croassent insolemment sur vos fenêtres.

Le sultan ne manqua pas de mettre à profit ce qui se passait pour rappeler à l’Europe, — et surtout aux Égyptiens, — que l’Égypte était une des provinces de son empire. Il fallait le remettre en mémoire aux descendans de Méhémet-Ali. L’emphase voulue avec laquelle est formulé le firman d’investiture le démontre assez :

« A mon vizir éclairé, y est-il dit, Tewfik-Pacha, appelé au khédiviat avec le haut rang de secret effectif, décoré de mes ordres impériaux de l’Osmanié et du Medjidieh en brillans ; que le Tout-Puissant perpétue ta splendeur !

« Ismaïl-Pacha, khédive d’Egypte, ayant été relevé de ses fonctions, eu égard à tes services, à ta droiture et à ta loyauté, tant à ma personne qu’aux intérêts de mon empire, à ton expérience des affaires de l’Egypte, à ta capacité pour réformer la mauvaise situation dont ce pays souffre depuis quelque temps, et conformément à la règle établie par le firman du 17 mouharrem 1283 pour la transmission du khédiviat, par ordre de primogéniture de fils aîné en fils aîné, nous avons conféré à toi, en ta qualité de fils aîné d’Ismaïl-Pacha, le khédiviat d’Egypte tel qu’il se trouve formé par ses anciennes limites et en y comprenant les territoires qui ont été annexés. »