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licenciement de deux mille cinq cents officiers mis en demi-solde, ceux-ci firent contre le ministère une manifestation des plus graves. Le khédive en avait-il été l’instigateur? Est-ce lui qui souffla un esprit de révolte sur les troupes? C’est probable, car les deux hommes de son ministère qu’il détestait le plus, Rivers Wilson et Nubar-Pacha, furent insultés, frappés, enfermés de force dans une des salles du ministère des finances. M. Wilson, entouré d’une foule qui proférait contre lui des cris de mort, eut sa barbe arrachée, et son excellence Nubar fut projetée avec violence contre une muraille. Le vice-roi, sollicité aussitôt par les représentans des puissances européennes, daigna se rendre à la prison où se trouvaient détenus les deux ministres et les fit mettre en liberté.

Cette première émeute ne se fit pas sans effusion de sang ; elle devait avoir des conséquences graves dans l’avenir. Elle éclairait l’armée sur sa force, et quand, un peu plus tard, un colonel rebelle lui demanda de se soulever avec lui, elle n’hésita pas.

Entre temps, la commission supérieure d’enquête était contrainte de donner sa démission. De toutes parts, on lui témoignait le plus mauvais vouloir ; le khédive se séparait aussi de ses deux ministres étrangers, MM. de Blignières et Wilson, pour former un autre ministère exclusivement indigène.

« Loin de son esprit, disait-il pourtant, l’idée de se priver du service des étrangers : depuis le commencement du règne de Méhémet-Ali, il savait de quelle utilité avait été cet élément pour l’Egypte. Il désirait user de son concours dans la plus large mesure, mais à la condition de n’être froissé ni dans ses coutumes, ni dans ses mœurs, ni dans ses sentimens religieux. »

Pour ce qui est des coutumes, les agens européens avaient alors beau jeu pour dire à Ismaïl-Pacha que les siennes étaient de celles que la morale pouvait blâmer et la justice punir. Mais il s’agissait bien de mœurs, de coutumes et de sentimens religieux, auxquels, d’ailleurs, personne ne songeait à porter atteinte. Il s’agissait pour le khédive d’abdiquer, la France et l’Angleterre ne pouvant continuer à être jouées par lui. Elles lui demandèrent d’accomplir lui-même cet acte douloureux, afin d’éviter l’intervention de la Sublime-Porte : il s’y refusa. Un iradé impérial, daté de Constantinople le 26 juin 1879, coupa court à ses hésitations : il le destituait et désignait son fils Tewfik pour lui succéder. C’était contraire à la loi de Mahomet, et Halim, fils de Méhémet-Ali, eût dû régner; mais Ismaïl-Pacha avait acheté au sultan Abd-ul-Aziz la faveur de voir son fils Tewfik lui succéder. En outre, les Anglais avaient fait comprendre que Tewfik leur convenait mieux, et c’est en quelque sorte une de leurs créatures qui entrait au pouvoir.

Le coup fut terrible pour Ismaïl, et, pendant de longues heures,