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Caire après un séjour d’un mois, la nuit descendait sur le désert que j’allais traverser; un officier égyptien en brillant uniforme, le sabre recourbé au côté, monté sur un magnifique cheval arabe, guidait la caravane dont je faisais partie, et qui se composait de quarante voitures et de deux cents voyageurs. Quarante fois nous relayâmes; trois fois on s’arrêta dans de splendides caravansérails, où, à notre intention, étaient dressées des tables chargées de fruits, de viandes froides, de sorbets et de vins de France. A deux heures du matin, lorsque nous eûmes atteint la seconde halte, je m’éloignai de la station et du bruit qui s’y faisait, désireux de me trouver en quelque sorte perdu dans le désert par une nuit sans lune et sous un ciel merveilleusement étoile. Je l’ai raconté souvent, et peut-être l’ai-je écrit : là, plus qu’ailleurs, au milieu d’une solitude absolue, entouré d’un silence solennel, l’imagination s’exalte, et vous vous sentez dominé par un religieux recueillement. Il me souvient que les légendes de la Bible me revinrent en mémoire, depuis la nuée lumineuse qui guidait les Israélites dans le désert, jusqu’au corps céleste qui s’arrêta radieux sur Bethléem. Si Dieu, tel que l’ont conçu les hommes du passé, a jamais eu un temple, c’est ici qu’il a dû s’élever. On y sent la divinité comme vivante ; elle y est palpable ; elle est dans cet air si vivifiant du désert qui cause aux hommes et aux chevaux de sang comme une folle ivresse ; elle semble descendre du ciel sur vous comme portée vers la terre sur les rayons des étoiles. On ne s’étonne plus, alors, que ce soit ici que les patriarches, les prophètes, les cénobites, Jean au désert de Judée, Mahomet dans les solitudes d’Arabie, le Christ dans sa nuit d’angoisse sur la montagne des Oliviers, aient cru l’entendre, que Moïse ait pu affirmer à son peuple avoir reçu de l’Éternel les tables de la loi sur la cime fulgurante du Sinaï. Et que l’on ne croie pas à des impressions isolées, inhérentes à une certaine disposition d’esprit; ces impressions se renouvellent à tous momens sous le ciel égyptien. Encore cette année-ci, au mois de mars, à minuit, je me trouvais avec quelques amis en face du sphinx, au moment où sur sa tête brillait la lune comme une faucille d’or. Chose vraiment étrange, nous dûmes baisser les yeux devant la fixité des yeux de pierre du monstre. Plusieurs fois nous renouvelâmes l’épreuve, et chaque fois la même terreur sacrée se produisit en nous. L’illusion cessa soudainement à l’arrivée d’Anglais qui venaient aux Pyramides en pique-nique nocturne.

Lorsque Saïd-Pacha, fils de Méhémet-Ali et son successeur, mourut, le pays était florissant, et le fellah, heureux comme il ne l’avait jamais été, s’enrichissait sans crainte d’être trop pressuré et trop dépouillé. Il n’y avait pas alors de dette publique en Égypte, et dire