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célèbre bibliothèque, de son phare, l’une des merveilles du monde, mais quelque chose du caractère d’une ville d’Orient. C’était Marseille, moins l’incomparable Cannebière. En 1888, Alexandrie est une ville anglaise, du moins c’est ainsi qu’elle m’est réapparue. Ses rues sont. pleines d’uniformes ronges, et le sifflet des locomotives de sa gare va se répercutant jusqu’aux solitudes du désert de Libye. Ce qui lui a enlevé son caractère, sa plus grande animation, à mon avis, c’est la perte du grand passage des voyageurs qui se rendaient aux Indes, et qui maintenant prennent la route monotone du canal ou le train à poussière d’Alexandrie à Suez. Quelle pittoresque animation perdue à jamais pour l’Alexandrie d’aujourd’hui ! On s’y embarquait sur le canal de Mamoudieh, pour rejoindre le Nil à Afteh. Les bateaux-poste égyptiens, en tout semblables à ceux qui fonctionnaient sur notre canal du Midi, n’offraient rien de confortable, mais cette navigation ne durait que quelques heures de nuit, et ceux qui ont vu les cieux étoiles et les beaux clairs de lune d’Égypte n’ont jamais regretté leur sommeil perdu. D’ailleurs, les cris étourdissans du raïs ou capitaine chargé de diriger le bateau, enlevé au galop de quatre chevaux qui le tiraient à la cordelle, rendaient le repos impossible. Malheur à l’Égyptien qui, se trouvant sur le canal avec sa barque chargée de riz ou de coton, n’apercevait pas de loin les torches à flamme rouge annonçant l’approche foudroyante des passagers de la malle des Indes! s’il ne se garait pas à temps, il disparaissait dans les eaux.

A Afteh, petite bourgade de la basse Égypte qui s’élève au bord du Nil, on s’embarquait sur un autre bateau, mais à vapeur celui-là, aussi peu confortable que celui que l’on venait de quitter; du moins, on avait la vue du grand fleuve et de ses rives. C’était, heureusement comme aujourd’hui encore, une succession de tableaux pleins d’une poésie orientale et biblique. Certes, rien n’est plus misérable d’aspect que les villages d’Égypte bâtis avec le noir limon du Nil, et comment se fait-il qu’ils ne vous causent aucun sentiment de tristesse? C’est parce qu’ils sont toujours égayés par des groupies de femmes emplissant d’eau leurs jarres de forme antique, d’enfans entièrement nus jouant à l’ombre de dattiers. Les ibis, les pélicans, les vautours au col décharné, abondaient alors sur les rives. En compagnie des crocodiles, ils ont déserté depuis longtemps ces parages.

On débarquait à Boulaq, et l’on faisait son entrée au Caire par une route superbe, bien entretenue, bordée de sycomores monstrueux. Après un séjour qui pouvait se prolonger d’une malle à l’autre malle, c’est-à-dire pendant trente jours, on montait dans des voitures attelées de quatre chevaux, qu’un cocher soudanais menait au galop jusqu’à Suez, Lorsque, de la sorte, je quittai le