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C’est bientôt dit ; mais qui donc mettraient-ils à leur place[1]? Les Égyptiens, ainsi que beaucoup de peuples incapables de marcher sans bourrelet, sont dans l’impossibilité de remplir avec la correction voulue une fonction quelconque. Ce ne fut que chez les chrétiens jacobites, c’est-à-dire chez les coptes, que Méhémet-Ali trouva quelques obscurs, mais utiles auxiliaires ; il put en faire des bureaucrates dont la spécialité fut d’aligner tout le long du jour des chiffres, pauvres hères pour qui les quatre règles de l’arithmétique paraissaient avoir été spécialement inventées. Ces coptes si doux ont fini, — mais bien à la longue, — par attirer sur eux l’attention des directeurs des chemins de fer égyptiens. On en a fait des chefs de gare à Alexandrie, au Caire et ailleurs. C’est une grande avance acquise sur leurs compatriotes, et il est à espérer pour eux qu’ils la conserveront.


II. — DE MÉHÉMET-ALI À LA LOI DE LIQUIDATION EN 1876.

Il nous faut remonter jusqu’à Méhémet-Ali et résumer très vivement ce qui s’est passé en Égypte de 1876 à 1882, pour faire comprendre ce qui s’y passe en 1888. Ce réformateur, voyant bien qu’avec les élémens qu’il avait dans le pays, son œuvre ne s’accomplirait pas, fit appel, sans distinction de nationalité, à tous les hommes qu’il crut aptes à le seconder. Avec le concours d’Européens intelligens, dévoués, il créa une armée magnifique qui eut ses triomphes et ses désastres, ainsi que tant d’autres ; il construisit des usines à vapeur, bâtit des fermes, planta le cotonnier et la canne à sucre, et enfin creusa, en y employant plus de 300,000 indigènes corvéables et taillables à merci, le fameux canal de Mamoudieh.

Lorsque je débarquai pour la première fois en Égypte, c’était En 1850; elle était encore pleine du souffle du grand homme, tout en ayant gardé son originalité orientale. En 1882, je l’ai trouvée presque française. Sauf la colonne de Pompée et un obélisque qui aujourd’hui se morfond sur les bords de la Tamise, on y cherchait en vain, non certes les vestiges des murailles de la ville bâtie par Alexandre, de ses portiques de marbre, du temple de Sérapis, de la

  1. Un jour, en ma présence, un jeune sous-secrétaire d’état à l’instruction publique insistait auprès de Nubar-Pacha, alors président du conseil, pour qu’une subvention fût accordée aux directeurs du théâtre français du Caire, subvention sans laquelle ils font inévitablement faillite. Nubar s’y refusait, lorsque, s’adressant à moi, il m’invita à lui dire mon opinion, le lui dis qu’une capitale était tenue d’offrir des distractions aux étrangers, puisque ces étrangers, en y passant la saison d’hiver, y laissaient beaucoup d’argent. « Ça, c’est une raison, s’écria-t-il ; j’accorde la subvention, et vous pourrez dire qu’elle est due à l’intervention d’un Français ; mais, entendez bien, d’un Français qui n’est pas fonctionnaire ! »