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bien précaire pour que ses principaux dignitaires croient juste de s’offrir en victimes expiatoires. Et que d’empiriques pour l’en sortir ! Quelle variété d’impudens charlatans ! Que de constellations sur leurs poitrines ! Il en est venu des quatre points cardinaux, des cinq parties du monde ; mais, conséquence naturelle de tant de méthodes de guérisons importées, le malade ne s’en trouve que plus mal. Les dépenses en paiemens d’honoraires s’accroissent quand les recettes diminuent ; le désert envahit des terres où l’on voyait jadis de brillantes cultures ; le sel blanchit un sol où germaient les orges et les blés ; le brigandage continue ses essais d’acclimatation ; le Soudan est perdu, grâce à l’intempestive intervention de l’Angleterre, qui a réveillé un fanatisme que l’on croyait mort et qui n’était qu’endormi. L’argent manque, les bras sont insuffisans, le drainage est incomplet, et des milliers d’hectares d’excellentes terres qui pourraient être cultivés ne le sont pas. Il semble, en un mot, que ceux qui ont si complètement envahi l’Égypte depuis six ans aient eu pour objectif la ruine de ce pays, afin d’en éloigner ceux qui s’y sont établis, et d’en rester les seuls maîtres.

« Notre nation est honnête, mais nos diplomates sont des mais et n’ont pas de probité politique. » Le général anglais Gordon, qui a écrit ces quelques lignes avant de mourir à Khartoum, se trompe sur un point : les diplomates anglais ne sont pas si mais qu’il le dit, et, en Égypte, rien de plus logique, de plus parfaitement combiné que leur conduite. Pour garder la grande route de son empire des Indes, l’Angleterre avait déjà Gibraltar, Malte et l’île de Chypre, île malsaine, mais position commandant les côtes de l’Asie-Mineure, de la Syrie, et l’entrée du canal de Suez du côté de l’Europe. Il ne lui fallait plus qu’une occasion favorable pour entrer en Égypte, l’occuper et s’en emparer administrativement : la révolte d’Arabi la lui fournit. Se gardant bien, dès le début de l’insurrection, de menacer de leur mitraille l’armée du colonel rebelle, les Anglais la laissèrent s’insurger, car une trop prompte répression n’eût pas autorisé l’intervention désirée. Elle se produisit donc, cette intervention, à l’heure fixée d’avance, sans précipitation, juste à temps pour empêcher que les tribus bédouines, accourues du désert pour piller, ne fissent d’Alexandrie la continuation des solitudes libyques.

On objectera que, si l’Angleterre est intervenue, ce n’est pas sans avoir invité la France à s’unir à elle en cette circonstance. Rien n’est plus vrai, et il serait même plus exact de dire que c’est la France qui, par l’organe de Gambetta, parla la première à lord Granville d’une coopération armée. Mais Gambetta avait compté sans M. Clemenceau et M. de Freycinet. Quelques minutes après une discussion navrante à relire, M. de Freycinet, alors ministre, s’écria ;