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VIII.

Actuellement, la grande pêche au cachalot ne se fait plus guère en dehors du Pacifique, et tout l’effort se concentre à San-Francisco. L’Atlantique est abandonné. On y rencontre çà et là quelques petits baleiniers, mais qui font surtout, dit-on, la contrebande. C’est qu’en effet la dépréciation du prix de l’huile, remplacée dans son principal usage par le pétrole, a rendu de plus en plus aléatoire une opération commerciale exigeant, comme première mise de fonds, l’armement d’un grand navire. Il en est résulté une transformation radicale, un retour assez inattendu au mode primitif de pêche tel qu’on l’avait pratiqué au début sur la côte occidentale d’Europe, ou même à Nantucket. C’est du rivage qu’on chasse aujourd’hui, avec succès, le cachalot aux Açores, sur vingt points différens de ces îles merveilleuses, et partout de la même façon. Parmi ces stations de pêche, Lagens, à l’extrémité orientale de l’île Pico, est une petite ville assise sur les laves au bord de la mer. Aucune rente n’y conduit. Des sentiers de mulet à travers la montagne et les champs de lave mettent seuls Lagens en communication avec la capitale et le reste de l’île. Mais il y a là un port tout petit, que défend tant bien que mal contre l’océan une digue naturelle rehaussée d’une chaussée de pierre. Sur la grève, de grands ossemens de cachalots, épaves des dernières prises, et, près de là, devant une maison, un banc fait d’une mâchoire inférieure, disent assez l’industrie du pays. On n’y compte pas moins de trois compagnies qui font la pêche. Ces compagnies ont partout la même organisation. La mise sociale est fort peu de chose quelque milliers de francs. On achète à Boston ou à New-Bedford deux baleinières ou trois, avec les lignes, les harpons, tous les agrès compris ; c’est un article courant et qu’on expédie sur commande. Chaque compagnie a son personnel. Celui-ci se compose d’un officier et d’un harponneur par embarcation. Ils sont payés à l’année en dehors de toutes prises, mais ayant naturellement une part sur celles-ci. Ils veillent à l’entretien de la baleinière, quelquefois remisée sous un hangar, ailleurs simplement tirée à la côte, mais toujours prête pour la mise à flot. Quand deux compagnies existent dans la même localité, on peut être certain qu’elles représentent des opinions politiques adverses. A Lagens, il y a les conservateurs et les progressistes ; une troisième compagnie a reçu, comme plusieurs de nos grands cercles parisiens, un sobriquet accepté de tous : « la Compagnie des dames, » composée de jeunes gens trop sensibles, dit-on,