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une vaste cavité ou boîte (cask) aux parois fibreuses contient une graisse dont la trame, au lieu d’avoir la solidité du lard, est infiniment délicate et se déchire par le moindre effort, mettant en liberté l’huile qu’elle contient. Pour la recueillir, les baleiniers découpent une ouverture au sommet de la tête et puisent cette huile avec un seau, comme dans une citerne. Quand elle ne vient plus, quelquefois un homme entre jusqu’aux aisselles dans le trou, et avec ses bottes en déchire les parois pour faire de nouveau couler l’huile. Celle-ci, par le refroidissement, laisse déposer de beaux cristaux blancs : c’est le spermaceti. L’huile de la boîte n’a pas d’ailleurs d’autre mérite que sa parfaite pureté. Le lard, les os du cachalot contiennent une huile toute semblable, mais dans une trame organique solide dont la cuisson peut seule la faire sortir, et elle perd au fourneau sa belle qualité. Cette huile du lard et des os, quand elle coule naturellement à l’air et s’y refroidit, forme aussi des stalactites par l’abondance du blanc. L’huile des baleines diffère en cela de celle du cachalot et ne contient que des traces de spermaceti.


V.

Si on ne trouve, au moins en Occident, aucune mention certaine du cachalot avant le XIIIe siècle, c’est seulement depuis deux cents ans qu’on en fait la pêche régulière. Les origines de celle-ci, comme tout ce qui touche à cet étrange animal, sont assez incertaines. Les Basques l’ont-ils chassé ? On ne peut douter qu’il n’ait été abondant autrefois dans le golfe de Gascogne, où il trouvait les eaux profondes et les côtes accores qu’il recherche. Mais il semble que ces pêcheurs fameux aient évité d’attaquer le cachalot. On n’a aucun document qui établisse le contraire ; et, d’ailleurs, on ne s’expliquerait point alors que la tradition s’en fût perdue chez les baleiniers, dont le rude métier ne s’improvise point et s’est toujours transmis par une sorte d’initiation directe entre les peuples qui l’ont pratiqué. Or il est bien établi qu’aux Bermudes et sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, où les colons, dès les premiers jours de leur établissement, firent la pêche de la baleine, on ne tuait pas les cachalots au XVIIe siècle.

La distinction entre la pêche du cachalot et la pêche de la baleine n’a pas toujours été bien faite. Comme elles se pratiquent toutes deux de la même façon et par les mêmes navires, on les a le plus souvent confondues. Mais il est toujours aisé de reconnaître la part de chacune en raison des aires géographiques différentes des deux espèces de cétacés.