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affronté ces besognes aussi laborieuses que peu engageantes. Dans la graisse, dans le sang jusqu’aux genoux, on a peine à se reconnaître au milieu des organes gonflés, ou bien on ne sait comment remuer de telles masses. Un anatomiste anglais, relatant la dissection qu’il avait faite d’un cachalot dans ces conditions, s’excuse de la donner incomplète, et fait valoir cette raison qu’il avait dû employer des chevaux pour retourner les parties qu’il décrit.

Les baleiniers, par ce côté, n’ont rendu que peu de services à la science et cela se comprend. La pêche des grands cétacés est toujours une opération coopérative où chaque matelot aura sa part dans les bénéfices. Un capitaine baleinier serait mal venu de sacrifier à d’autres intérêts que l’intérêt commun, et celui-ci n’est pas apparemment d’observer des viscères et de recueillir des pièces d’étude. Aussi, à la mer, une fois le lard du cachalot levé et la tête vidée de son blanc, la carcasse est vite abandonnée, pendant que les vigies remontent à leur poste au haut des mâts, en quête de nouvelles captures. Ce n’est que tout dernièrement et en raison des conditions nouvelles où se fait la pêche aujourd’hui grâce à un don généreux du conseil municipal de la ville de Paris, et grâce aussi au zèle éclairé d’un des principaux négocians des Açores, M.S.-W. Dabney, que le Muséum a pu s’enrichir de documens anatomiques d’une insigne rareté et, en particulier, de deux fœtus dont la dissection, facile sur une table, a permis d’étendre beaucoup les connaissances que l’on avait sur l’organisation du cachalot.

Même l’aspect extérieur de la bête avait été jusque-là fort mal rendu. D’anciennes estampes, sous ce rapport, valent mieux que les figures partout reproduites dans les traités classiques publiés depuis cinquante ans. Celles-ci représentent invariablement le cachalot vu de profil, la tête terminée carrément. Le peintre Garneray, qui avait navigué sur des baleiniers et qui vit à coup sûr plus d’un cachalot, ne nous le montre pas autrement. En réalité, la tête est un peu comprimée en avant et taillée en sorte d’étrave, comme la proue d’un navire. Ceci explique la vitesse prodigieuse avec laquelle se meut le cachalot et qu’il ne pourrait certainement pas atteindre si sa tête se terminait par un plan droit, comme la décrit un auteur américain tout récent.

L’extrémité de la tête, en dessus, n’est pas exactement symétrique des deux côtés. C’est là, d’ailleurs, un caractère commun à tous les cétacés munis de dents, tels que les marsouins, les dauphins, les orques, les narvals, mais aucun ne le présente aussi accusé que le cachalot, avec son évent fortement déjeté à gauche. Le défaut extérieur de symétrie retentit plus ou moins jusqu’aux os du crâne.