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lot représenté dans la gravure dont nous parlons, s’était échoué, en 1617, sur les dunes de Scheveningen, près de La Haye. Après qu’on en eut tiré le blanc, l’huile, tout ce qu’on pouvait, le crâne fut placé dans l’église de la ville pour l’édification des fidèles. On a depuis relégué dans un coin cette intéressante pièce anatomique, soit afin qu’elle attire moins les regards pendant le prêche, soit qu’on lui croie aujourd’hui moins de vertu pour échauffer la foi. Dans une vieille inscription latine, le cétacé, s’adressant au visiteur émerveillé, lui dit encore comment les vents l’ont jeté au rivage, où des foules sont venues le contempler ; il termine par une exhortation à la crainte du Tout-Puissant qui a peuplé la mer de pareils léviathans.

Les cétacés morts, ou vieux ou blessés, ne sont pas les seuls que la mer nous apporte. Il n’est pas très rare de voir certaines espèces qui vivent en troupes, comme les cachalots, se jeter à plusieurs sur des plages, sans cause apparente, comme poursuivis par quelque ennemi qui les affole. Quel ennemi le cachalot peut-il bien redouter ? Les baleiniers ont là-dessus une légende, celle du petit poisson volant, un vrai diable qui, passant et repassant au-dessus de la grosse bête, l’exaspère, la rend furieuse, pendant que l’espadon, avec lequel il a combiné son attaque, larde la malheureuse sous le ventre. Mais les baleiniers ont bien d’autres histoires, qui méritent juste autant de créance. Quelle crainte, quels besoins, quelle erreur, poussent à la côte des troupes de cachalots ? Nous l’ignorons. On a vu déjà que dix-sept étaient ainsi venus, en 1723, à l’embouchure de l’Elbe. En 1823, près de Trieste, six s’engagent de même, pendant une nuit d’août, sur un bas-fond. Au matin, on croit à l’apparition d’une roche, quand on découvre que celle-ci remue. Toutes les barques disponibles sortent du port, et, faisant le demi-cercle autour des souffleurs, les réduisent, à force de cris et de coups de feu, à s’engager davantage sur le sable. On les tua. Quatre des plus gros furent dépecés sur l’heure, et leurs squelettes plus tard allèrent enrichir les musées de Trieste, de Vienne, de Munich. Malheureusement les ossemens avaient été mêlés, ce qui ôte à ces pièces beaucoup de leur valeur.

Mais le plus célèbre et le plus étonnant tout à la fois de ces échouages est celui d’Audierne, en 1784. Nous en avons un récit détaillé par l’abbé Le Coz, alors principal du collège de Quimper, et qui devint après la révolution, archevêque de Besançon. Le dimanche 14 avril, sur les six heures du matin, la mer étant grosse et le vent soufflant avec violence du sud-ouest, on entendit des mugissemens extraordinaires qui partaient d’une petite crique. Deux paysans qui allaient par la grève à une chapelle voisine aperçoivent d’énormes animaux s’agitant violemment dans la mer. Ils en