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ment, celui que M. Sirodot a découvert au pied du mont Dol, sont d’une taille inférieure aux individus que l’homme chasse aujourd’hui.

Les cétacés se partagent en deux grandes divisions : les baleines, qui ont le palais garni de fanons, et ceux qui ont des dents et qu’on appelle cétodontes. Les marsouins, les dauphins, les orques se rangent dans ce dernier groupe, dont le cachalot est le géant. Les naturalistes, au siècle dernier, crurent qu’il y avait plusieurs espèces de cachalots. Des observations mal faites ou prises sur des bêtes amaigries, mortes de maladie et jetées à la côte, les récits peu concordans ou mal interprétés des baleiniers avaient aidé à cette confusion. On ignorait la différence si remarquable de taille entre le mâle et la femelle, près du tiers plus petite. Cuvier, mis en éveil par la contradiction même de ces témoignages, pressentit qu’il n’existe en réalité qu’une seule espèce de cachalot répandue dans les deux océans, et que les différences signalées étaient simplement des variétés individuelles. La suite a justifié de tous points cette vue du célèbre anatomiste, éclairé par la connaissance profonde qu’il avait de l’organisme. Comme parenté immédiate du cachalot dans la grande famille animale, ayant avec lui un air de ressemblance formel, on ne connaît que le kogia, aux proportions beaucoup moins imposantes, car il ne mesure pas plus de 2 mètres ; il vit dans les mers du Japon.

Les baleines aiment à se jouer au milieu des glaces flottantes ; elles s’écartent peu des mers froides des pôles. Les cachalots, au contraire, ne s’avancent que rarement, dans les hautes latitudes, au nord et au sud. On en a rencontré au détroit de Behring, mais par exception. Il en vient de même égarés dans la Mer du Nord. Nageur puissant, ne comptant pour rien les distances, il franchit le Cap, il franchit même la pointe d’Amérique, et voit s’ouvrir deux océans devant lui, mais il se plaît surtout sous les tropiques. Il est par excellence le géant des mers chaudes.

Les marins le reconnaissent d’ailleurs à première vue, à sa tête qui fait le quart de la longueur du corps, tête énorme, dont le profil ne s’amincit pas, s’avançant comme un promontoire aussi haut que le corps lui-même au-dessus de la mâchoire tout étroite, mais garnie de dents formidables. L’évent, placé à l’extrémité et au sommet de ce promontoire, est fortement dévié à gauche. C’est un trou large comme un seau quand il se dilate, et par lequel le monstre, à chaque respiration, lance un jet de buée oblique qu’on aperçoit à plusieurs milles en mer.

Les cachalots vivent en troupes, tantôt composées de quelques individus, d’autres fois très nombreuses et blanchissant les flots à perte