Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu sérieux que le 17 mai, chez les Cheurfa, qui perdirent 80 des leurs, tués ou blessés.

Des opérations dans la province de Constantine il n’y aurait pas beaucoup plus à dire, si elles ne s’étaient pas terminées par un coup de théâtre qui mérita d’attirer l’attention publique. Après avoir parcouru le Belezma et le Hodna, le colonel Canrobert, commandant la subdivision de Batna, s’était engagé au sud dans le Djebel-Aurès, où le drapeau français ne s’était pas montré depuis trois ans ; aussi les montagnards inclinaient-ils de plus en plus à l’indépendance. La colonne, forte de 2,900 hommes, se composait du 43e de ligne, du 2e régiment de la légion étrangère, du bataillon de tirailleurs indigènes de la province, d’un escadron du 3e chasseurs d’Afrique, d’une cinquantaine de spahis, d’une batterie de montagne et d’un convoi de 460 mulets. Le mouvement avait commencé le 10 mai. Parmi les populations surprises, les unes avaient fait soumission, les autres, évacuant leurs dacheras en hâte, essayaient de s’échapper par le sud dans le Zab.

Averti qu’au nombre des émigrans se trouvait l’ancien bey de Constantine Ahmed, le colonel Canrobert se hâta de faire occuper ou surveiller par le chef d’escadrons de Saint-Germain, commandant supérieur de Biskra, les débouchés méridionaux de l’Aurès, et se mit de sa personne à la poursuite du fugitif. Le 5 juin, cerné de tous côtés, au nord par la colonne de Batna, au sud par les goums du commandant de Saint-Germain, un peu partout par les Kabyles qui voulaient se faire pardonner leur insoumission, Ahmed écrivit au colonel Canrobert pour demander l’aman et, sans même attendre l’effet de sa lettre, il se remit entre les mains du commandant de Saint-Germain, plus rapproché de lui, de sorte qu’il en fut de lui comme d’Abd-el-Kader, qui, ayant voulu se rendre à La Moricière, avait rencontré d’abord le colonel Montauban. Ce fut à Biskra, deux jours après, que le colonel Canrobert reçut la soumission du personnage considérable qui, depuis onze ans déchu, ne laissait pas d’avoir encore des partisans secrets dans Constantine et d’exercer une influence réelle dans l’Aurès.

Conduit sous bonne escorte à Alger, Ahmed y arriva, le 27 juin, avec une suite de 60 personnes. Ce fut le général Marey, successeur intérimaire de Changarnier depuis cinq jours, qui le reçut. La soumission de l’ancien bey, comme celle de Bou-Maza, était sincère. Las des aventures, las des privations, las des alarmes, il obtint d’achever paisiblement, dans Alger même, une vie déjà longue et longtemps tourmentée.

Cette émotion de printemps n’eut donc pas de grandes suites. L’été fut assez tranquille, si ce n’est vers la frontière du Maroc, où le général de Mac-Mahon, commandant la subdivision de Tlemcen,