pas retarder le départ, sans que je prenne le temps de corriger l’expression de mes sentimens, qu’il me suffit de savoir loyaux et honorables. »
La France n’eut pas de guerre à soutenir, mais le général Changarnier eut le déplaisir de voir une armée d’observation l’assemblée au pied des Alpes et le chagrin de la voir commandée par le maréchal Bugeaud, qu’il détesta d’autant plus. Quant à son gouvernement intérimaire, il dura tout juste huit jours, du 3 au 10 mars. Le général Cavaignac, nommé gouverneur titulaire, étant arrivé d’Oran, Changarnier se hâta de s’embarquer pour France.
En étendant jusqu’à la réduction définitive de la Grande Kabylie, en 1857, cette histoire de la conquête, nous entendons nous tenir exclusivement dans le domaine des actions de guerre, écartant de parti-pris les faits d’administration plus ou moins régulière, d’organisation ou de désorganisation civile. Nous ne dirons donc rien, des saturnales révolutionnaires qui ont déshonoré les grandes villes; Alger, Bône, Oran, après la catastrophe de 1848. Honteuses comme partout ailleurs, elles ont été particulièrement odieuses en Algérie, devant les Arabes. « Ce n’est pas ainsi que j’entends la république, » disait, des larmes dans les yeux, le général Cavaignac; et de son côté le colonel Bosquet écrivait, à propos de Tenès qui faisait ses manifestations comme les autres : « c’est une étrange folie qui s’empare de tous ; il semble que, sous prétexte de république, il faille partout essayer du désordre. La sainte république est encore mal comprise: quand sera-t-elle bien pratiquée? »
Heureusement l’armée sauva la dignité de la France; entourée, harcelée d’excitations malsaines, elle demeura calme, fidèle à ses devoirs, respectueuse de la discipline. Elle a d’autant mieux mérité de la patrie qu’elle a dû se ressentir davantage de l’instabilité, on pourrait dire du désarroi dans le commandement. En sept mois elle n’a pas eu moins de cinq chefs suprêmes, intérimaires ou titulaires : Changarnier, du 3 au 10 mars ; Cavaignac, du 10 mars au 11 mai; Changarnier derechef, du 11 mai au 22 juin; le général Marey, du 22 juin au 22 septembre ; enfin le général Charon, qui allait avoir deux années de gouvernement.
« Cette fantasmagorie de gouverneurs, disait le lieutenant-colonel Durrieu, nous fait beaucoup de mal dans l’esprit des Arabes. » Si, au mois de décembre 1847, Abd-el-Kader ne s’était pas rendu à la France, la conquête de l’Algérie eût été, trois mois plus tard, terriblement compromise. « Les indigènes résidant à Alger, écrivait Changarnier, le 5 mars, au ministre de la guerre, se félicitent entre eux et croient que l’heure des musulmans va revenir; mais ces Maures dégénérés et pusillanimes n’agiront point et se contenteront de donner des avertissemens aux Arabes vivant sous