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M. de Lagrenée en Chine, qui, sous le règne de Louis-Philippe, eut un si grand retentissement. Il fut chargé de porter au roi le traité qui ouvrait à la France et à l’Europe un monde inconnu, mystérieux, dont les murailles légendaires étaient réputées infranchissables. C’était une haute faveur qui le mettait en relief et lui assurait une part privilégiée dans le succès remporté par notre ambassadeur. Revenir de Pékin suffisait d’ailleurs pour frapper les imaginations, dans ces temps lointains où le plus petit déplacement était un événement, où la France, dans une splendide éclosion intellectuelle, semblait absorber, concentrer l’univers. Aussi fut-il, à son arrivée à Paris, le lion du jour, les salons se l’arrachaient. Plus tard, il retraça d’une plume élégante les impressions qu’il avait rapportées du Céleste-Empire. Il avait publié déjà, avant d’entrer dans la diplomatie, un roman dont il ne parlait jamais ; il le considérait sans doute, et bien à tort, comme un péché de jeunesse. Je dois à un bibliophile érudit, M. Xavier Marmier, qui l’a découvert sur les quais, où tout se retrouve pêle-mêle, la gloire et la honte de notre littérature, le plaisir de l’avoir lu.

L’empereur avait invité à Stuttgart le comte de Rayneval, qu’il venait de nommer son ambassadeur à Pétersbourg. Il tenait, en le présentant lui-même à l’empereur Alexandre, à lui donner un éclatant témoignage de sa faveur et de sa confiance. Ce dédommagement lui était bien dû, après le mauvais service qu’on lui avait rendu, en insérant dans le Moniteur, pour satisfaire les passions du moment et se faire bien venir des Italiens, un de ses rapports daté de Rome, et dans lequel, confidentiellement, dans l’esprit le plus élevé, il avait tracé des imperfections du régime pontifical et de la nécessité de ses réformes un tableau saisissant.

Le comte de Rayneval, comme le marquis de Ferrière, mourut prématurément, avant même d’avoir pris possession de son poste. Il avait le charme et le sens politique de son père, qui représentait la France à l’étranger, avec une rare distinction, sous la monarchie de Juillet.

La liste nécrologique des diplomates marquans du second empire, morts avant l’âge, est longue. Ne les plaignons pas : ils n’ont pas VII, comme leurs compagnons d’étapes qui ont survécu à 1870, la France, qu’ils aimaient et servaient avec ardeur, démembrée par l’ennemi et déchirée par les factions ; ils n’ont pas ressenti la douleur que Daflte tenait pour la plus amère, celle des grandeurs perdues.


G. ROTHAN.