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et d’Alexandre II était pour ses sujets le témoignage le plus éclatant de sa sagesse, de son habileté et du rôle qu’il jouait dans la politique européenne, bien que souverain d’un petit royaume. La fête populaire de Canstadt, du 27 septembre 1857, fut l’apothéose de son règne.


VIII. — LE DÉPART DE STUTTGART DES DEUX EMPEREURS,

Le jour de son départ, le 28 septembre, Alexandre II déjeuna à la villa de Berg, avec l’empereur Napoléon. Le prince royal, pour leur permettre de s’épancher librement, les avait invités seuls, sans leur suite, et, ce qui était hardi, à l’exclusion de son père. Ce fut une mortification pour le roi ; il comptait présider aux adieux de ses hôtes, et espérait, en prenant part à leurs entretiens, être fixé sur les arrangemens qu’ils avaient concertés. Il était atteint à la fois dans son orgueil et dans sa curiosité ; il ne le pardonna pas à son fils.

Le prince royal, à cette époque, ne sacrifiait qu’à la Russie; il en avait adopté les habitudes, jusqu’aux attelages, et pour complaire à la princesse Olga, il ne craignait pas d’assister au culte de l’église orthodoxe; elle méritait bien un messe. Fier de son inspiration, il me raconta qu’après le déjeuner, il avait laissé ses deux augustes invités en tête-à-tête dans son cabinet; il me fit remarquer les fauteuils dans lesquels ils avaient conféré, il les tenait pour des meubles désormais historiques. L’entretien avait duré près d’une heure. La glace s’était rompue à la dernière minute ; après de froids débuts, on s’était séparé le front déridé, presque radieux : la raison d’état l’avait emporté sur les préventions.

Les empereurs avaient ratifié le protocole arrêté par leurs ministres. Ils s’étaient promis de ne rien entreprendre sans se concerter, et de se soutenir mutuellement et fidèlement par l’action de leur diplomatie, soit en Orient, si des complications devaient y surgir, soit en Italie, si un différend devait éclater entre la France et l’Autriche. Dans cette dernière éventualité, la Russie nous assurait tout d’abord sa neutralité sympathique et, les événemens engagés, elle nous promettait, sans cependant se lier contractuellement, la concentration de 150,000 hommes sur les frontières de la Gallicie ; on était allé jusqu’à prévoir une alliance éventuelle.

Le 28 septembre était un anniversaire. Il y avait quarante-neuf ans, jour pour jour, que Napoléon Ier et Alexandre Ier s’étaient rencontrés à Erfurt. — « Où est l’Europe, si ce n’est entre vous et nous? » disait alors le comte Romanzof au comte de Rovigo. — Qui sait si le 28 septembre 1857 les deux souverains et leurs ministres ne cédaient pas aux mêmes illusions ! Pouvaient-ils soupçonner