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mon pays. Il a suffi d’un principe faux, néfaste, celui des nationalités, introduit dans notre politique, sous l’empire d’idées préconçues, à l’encontre de nos traditions, et, poursuivi avec une aveugle obstination, pour ébranler en peu d’années les assises de la France et l’atteindre mortellement dans sa sécurité.

Combien, hélas ! sont rapides les retours de la fortune ! Au mois de septembre 1857, l’empereur, la figure rayonnante, avec le prestige de récentes victoires consacrées à Paris, était complimenté, à son entrée sur le territoire allemand, par le prince de Prusse, et treize années plus tard, au mois de septembre 1870, il revenait en Allemagne, sans couronne et sans épée, prisonnier de ce même prince, devenu roi et tout prêt à saisir le sceptre impérial.

L’empereur Alexandre était arrivé la veille[1]. Il était descendu à la station de Feuerbach, à quelques kilomètres de la ville, où le roi avec sa suite l’attendait. Il portait le superbe et sévère uniforme du régiment des tirailleurs de la famille impériale, la tunique et le pantalon noir, le bonnet large et bas garni de fourrures. Le costume national faisait ressortir sa taille imposante et martiale. L’expression de ses traits et l’éclair de ses grands yeux bleus lui donnaient par instans une ressemblance frappante avec son père l’empereur Nicolas, le plus majestueux des souverains. Il s’installa chez son beau-frère, à la coquette et élégante villa de Berg qui domine la ravissante vallée du Neckar.

À peine l’empereur avait-il pris possession de ses appartemens que le tsar, accompagné du frère de l’impératrice Marie, le prince Alexandre de Hesse, se présentait pour le saluer. Il n’avait pas voulu attendre sa visite ; il se considérait comme faisant partie de la famille royale, et comme tel tenu à faire les honneurs de la cour à l’hôte du roi. Il tranchait ainsi à question toujours délicate des préséances. Après un chaleureux échange de poignées de main, ils se présentèrent réciproquement leurs ministres, leurs suites et le personnel de leurs légations. Napoléon III n’avait emmené que le général de Failly, le général Fleury et le prince Joachim Murat, le jeune et brillant colonel de ses guides.

Stuttgart, assise dans les replis de la vallée du Neckar, entourée

  1. Sa suite se composait du comte Adlerberg, le ministre de sa maison, de M. de Tolstoï et de plusieurs aides-de-camp. Le prince Soltykof, ainsi que le prince et la princesse Dolgorouky, se trouvaient, avec beaucoup de Russes de qualité, au nombre des invités, et le comte de Kisselef, l’ambassadeur de Russie à Paris, avait été mandé par son souverain. Le prince Gortchakof n’avait emmené que M. Hamburger, le secrétaire de sa chancellerie. Une troupe française était venue à Stuttgart ; l’empereur Alexandre assista, le soir de son arrivée, à une représentation ; on donnait le Piano de Berthe et Ce que femme veut.