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heures douloureuses qu’il avait passées à Vienne pendant la guerre de Crimée. Il en voulait surtout au comte de Buol, auquel il ne pardonnait pas ses hauteurs, son ingratitude et sa perfidie. Il le réduisait à d’humbles démarches ; il l’obligeait à frapper à toutes les portes, à recourir aux expédiens pour conjurer l’orage qui, de tous côtés, se préparait menaçant pour l’Autriche. M. de Buol expiait les fautes de sa politique dans le cours des complications orientales, ses dédains pour la Prusse, son manque de gratitude envers la Russie et ses infidélités au traité du 2 décembre 1854, qu’il avait signé avec la France et l’Angleterre.

Il s’adressait en vain à la confédération germanique, ses appels restaient sans écho. Il avait perdu tout prestige et tout crédit ; l’Allemagne demeurait insensible à ses doléances. Elle se retournait vers Napoléon III, éblouie par sa rapide fortune. N’avait-il pas su en peu d’années replacer la France au premier rang, après l’avoir sauvée d’une mortelle anarchie? On lui prêtait de vastes desseins ; on voyait en lui le précurseur d’une ère nouvelle. Les princes lui savaient gré d’avoir énergiquement rétabli les principes d’ordre et d’autorité, et les peuples attendaient de lui leur délivrance. Toutes les imaginations étaient en branle en Allemagne, à la veille de l’entrevue de Stuttgart; on accourait de tous côtés pour voir, si ce n’est pour admirer, « le sphinx, » le descendant pacifique, transformé, du grand César.


V. — LA GRANDE-DUCHESSE STEPHANIE DE BADE.

L’empereur quitta Strasbourg, le 25 septembre, à huit heures du matin. L’ancienne capitale de l’Alsace, aujourd’hui en deuil, l’avait accueilli avec des cris d’allégresse; elle lui avait élevé des arcs de triomphe ; elle s’en est bien repentie depuis ! — Il fut accueilli avec le même enthousiasme sur la rive allemande ; Kehl était pavoisé comme en un jour solennel. Son voyage jusqu’à Stuttgart ne fut qu’une ovation ; sur tout le parcours, les stations étaient enguirlandées, les couleurs françaises se mariaient aux couleurs nationales. A Rastadt, des détachemens de la garnison, Autrichiens et Badois, les autorités en tête, étaient sous les armes ; les soldats, en signe de fête, avaient leurs shakos ornés de verdure. Les cloches de la ville sonnaient à toute volée, le canon tonnait sur les remparts et les musiques militaires jouaient bruyamment : Partant pour la Syrie, sans froisser les oreilles germaniques, si chatouilleuses aujourd’hui. Le drapeau qui salua l’empereur était celui que Napoléon avait remis au temps de la confédération du Rhin à l’un des régimens badois sur les champs de bataille. Qui songeait alors à l’unité allemande, à la grande patrie? Le parlement de