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négociations qui ne se conciliaient pas, le roi avait trop auguré de sa dextérité et trop compté sur la discrétion de sa diplomatie occulte, qui mangeait à plus d’un râtelier; ses trames s’étaient rompues, son habileté avait été percée à jour. Interpellé, il se défendit tant bien que mal, il prétendit que le comte de Buol, rongé d’inquiétudes, l’avait fait supplier par son envoyé à Vienne d’intervenir; qu’il avait dû le rassurer, lui démontrer que l’entrevue de Stuttgart ne serait menaçante pour personne et que, finalement, de guerre lasse, il lui avait promis de s’entremettre à Pétersbourg. Il ajoutait, pour nous tranquilliser et nous réconcilier avec ses ténébreux pourparlers, que le prince Gortchakof, bien qu’il s’en défendît, était loin de faire litière des ressentimens que lui laissait sa mission à Vienne pendant la guerre de Crimée, que des paroles ne lui suffiraient pas, qu’il exigerait de l’Autriche des gages dans les actes et les personnes, mais qu’il ne les obtiendrait pas, car, disait-il, le comte de Buol, appelé à faire tes frais de la réconciliation, ne se montrait nullement enclin à s’immoler.

Ces explications furent froidement accueillies; on tenait le roi pour un ami sûr, et l’on venait de constater qu’il n’était qu’un frère équivoque. Il dut consulter à nouveau ses médecins, et, sur leur avis, entreprendre un second pèlerinage, cette fois à Paris, pour remettre les choses en état, car déjà il n’était plus question de Stuttgart, on parlait de Bade.


IV. — LES INQUIÉTUDES DE L’AUTRICHE.

L’Autriche ne pouvait être indifférente à des conférences entre deux souverains qu’elle savait mécontens, sinon irrités de son attitude louvoyante pendant la guerre de Crimée. Elle craignait, disait un diplomate, d’être étouffée dans leurs embrassemens. Elle se faisait surtout peu d’illusions sur les sentimens de Napoléon III. Ne lui avait-il pas, pendant le cours des complications orientales, malgré l’alliance du 2 décembre 1854, plus d’une fois révélé ses secrètes tendances? Ne s’était-il pas, au congrès de Paris, constitué hautement le parrain de la Prusse et du Piémont, les deux puissances qu’elle avait le plus à redouter? François-Joseph appréhendait surtout que, sous l’impression d’amers ressentimens, entretenus par le prince Gortchakof, l’empereur Alexandre ne se prêtât à des combinaisons dont il aurait à faire les frais.

Le comte de Buol avait été comme foudroyé à l’annonce imprévue de l’entrevue. Les violences de sa presse dénotaient ses craintes secrètes; il pressentait qu’il serait sacrifié aux rancunes de la Russie. Aussi ses journaux rappelaient-ils avec aigreur Tilsitt et Erfurt; ils s’attaquaient aux princes allemands qui ne craignaient