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le roi Guillaume n’avait-il étudié ni Guichardin ni Machiavel, mais d’instinct il était de leur école. Il avait du Souabe les qualités et les travers, la bonhomie et la ruse. Il eût marqué sur un grand théâtre ; réduit à un rôle secondaire, il mit sa gloire à bien administrer son pays, à passer pour un prince éclairé, libéral, et surtout à se faire bien venir auprès des grandes puissances. Il s’autorisait de sa vieille expérience et de son apparent désintéressement pour intervenir dans leurs affaires et jouer au besoin le rôle de médiateur. C’est ainsi qu’au sortir de la guerre de Crimée, il consacra toute sa finesse à préparer une rencontre de Napoléon III avec Alexandre II. La tâche n’était pas aisée; écrire à l’empereur sans y être autorisé par le tsar était chose délicate ; paraître aux Tuileries sans motif et sans y être invité ne l’était pas moins. Le problème était difficile, mais le roi en avait résolu de plus scabreux. Il se fit ordonner par ses médecins un changement d’air, un voyage dans le midi de la France. Dans les premiers jours d’octobre, il partait pour Biarritz. La plage de Biarritz était peu renommée alors ; il ne s’y rattachait aucun souvenir fâcheux pour notre patriotisme ; M. de Bismarck, en s’inspirant de l’exemple du roi de Wurtemberg, n’y parut qu’en 1864 et 1865, et malheureusement ce ne fut pas pour rapprocher la France et la Russie, et encore moins pour assurer, par leur entente, aux petites cours allemandes, l’indépendance au sein de la confédération germanique.


III. — LES PRÉLIMINAIRES DE L’ENTREVUE.

Le roi Guillaume, cependant, n’était pas un courtier désintéressé ; il entendait faire payer son intervention par des satisfactions données à son amour-propre; il annonçait que de grandes fêtes auraient lieu à Stuttgart, au mois de septembre 1857, à l’occasion du soixante-seizième anniversaire de sa naissance, et il insinuait qu’il serait profondément touché si les deux empereurs voulaient, à ce moment, se rencontrer dans sa capitale pour y participer. Cet hommage rendu à un parent[1], le doyen des souverains en Europe, ne surprendrait personne et faciliterait, sous le couvert du sentiment, les combinaisons de la politique; déjà Alexandre II avait été pressenti, et son assentiment, à entendre sa majesté, n’était pas douteux. L’invitation fut acceptée à Paris avec empressement ; elle n’avait trouvé à Pétersbourg, — le roi avait négligé de le confesser,

  1. Sa sœur, la princesse Catherine, avait épousé le prince Jérôme. La parenté du roi avec la cour de Russie était plus étroite. Son fils était le mari de la grande-duchesse Olga, la sœur d’Alexandre II, et sa première femme, la grande-duchesse Catherine, était la sœur de l’empereur Nicolas.