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était, en 1856, en Allemagne, le Nestor des princes régnans; on appréciait son expérience et son savoir-faire. Il jouait un rôle important dans les affaires si compliquées de la confédération germanique. Son ambition était de constituer, par l’entente intime des quatre royaumes : la Saxe, le Hanovre, la Bavière et le Wurtemberg, une troisième puissance en Allemagne. Tout en protestant de ses sentimens patriotiques à Vienne et à Berlin, il recherchait sous main l’appui moral de la France et de la Russie ; il ne négligeait aucune habileté pour les réunir, au gré de ses intérêts, dans une commune politique. Leur accord, dans sa pensée, était la garantie la plus sûre de l’indépendance des cours de second et de troisième ordre. Son attitude pendant la guerre de Crimée avait révélé toutefois que ses penchans étaient surtout russes[1]. Dans ses entretiens avec M. de Bismarck, qui allait parfois à Stuttgart pour s’assurer son concours à la Diète, il ne dissimulait pas le peu de confiance et de sympathie que lui inspirait le second empire[2]. Il taxait sa politique d’inquiète, de brouillonne ; il croyait que l’empereur, au lieu de se tenir tranquille, soulèverait toutes les questions pour détourner les esprits de l’intérieur et les maintenir en éveil au dehors. Il félicitait la Prusse de son attitude dans les complications orientales ; il voyait en elle le bouclier de l’Allemagne. Le lendemain, tout au contraire, dans ses causeries avec l’envoyé de France, il se moquait du mysticisme de Frédéric-Guillaume IV, du décousu, de l’incohérence de ses idées et de l’ambition immodérée des hobereaux prussiens; il parlait avec animation de la sagesse de Napoléon III et des inappréciables services qu’il rendait à la cause de l’ordre et de la paix en Europe. « Ondoyant et divers, » nul ne se retournait plus vite et plus à propos que lui.

Flairer le vent, pressentir le succès, abandonner les alliances incommodes et se jeter du côté du vainqueur, à l’heure psychologique, pour en tirer gloire et profit, tels étaient les préceptes que l’Italien Guichardin recommandait aux états faibles et que ses compatriotes, depuis, ont transformés en maxime d’état. Peut-être

  1. La reine des Pays-Bas disait un jour à son père, à propos des Russes qu’elle détestait : « Vous êtes avec la Russie comme avec une ancienne maîtresse qu’on ne peut pas quitter. — C’est vrai, répondit le roi, mais que voulez-vous! c’est toujours à elle qu’il faut en revenir, et, d’ailleurs, n’ai-je pas juré à votre mère de lui rester fidèle? » — La première femme du roi Guillaume était la grande-duchesse Catherine.
  2. Après le coup d’état du 2 décembre 1851, le roi rédigea de sa main un mémorandum contre le rétablissement de l’empire et l’adressa aux principales cours d’Europe. Son gendre, le roi de Hollande, qui le détestait, s’en procura un exemplaire et s’empressa de le communiquer à notre ministre à La Haye. Après la proclamation de l’empire, le roi Guillaume ne fut pas moins un des premiers et des plus chaleureux à reconnaître Napoléon III.