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relations avec la plupart des membres du corps diplomatique et avec les hommes qui détenaient le pouvoir. Je retrouvais à la tête des affaires M. Visconti-Venosta et M. Lanza, qui, lorsque, de 1862 à 1865, je remplissais à Turin les fonctions de premier secrétaire et parfois de chargé d’affaires, étaient déjà, l’un ministre des affaires étrangères, et le second ministre de l’intérieur. Chef de mission, j’avais eu la chance et l’honneur d’accompagner Victor-Emmanuel dans l’émouvant voyage qu’il fit à travers toute la péninsule, au mois de novembre 1863, de Turin à Ancône, et d’Ancône à Naples, pour affirmer sa royauté dans ses nouvelles provinces[1], et je connaissais les hommes les plus marquans du parlement. Rencontrant partout des sympathies et du bon vouloir, je fus à même, dès le lendemain de mon arrivée, de me consacrer avec sûreté à la défense de nos intérêts, sans avoir, comme un agent improvisé, à étudier mon terrain, à me créer péniblement des moyens d’action et d’information. Toute la science et toute l’habileté du monde ne sauraient, je le répète, remplacer les relations qu’on a nouées dans le cours d’une longue carrière et tenir lieu de l’expérience et du tact particulier que donne la pratique des hommes et des affaires.

M. Jules Favre, en prenant possession du ministère des affaires étrangères, le 5 septembre 1870, supplia les chefs de service de ne pas l’abandonner. « Que deviendrais-je sans vous, leur disait-il anxieusement en faisant appel à leur patriotisme, je n’ai aucune expérience des affaires! » Ce ne fut qu’un accès d’humilité. Huit jours après, il écrivait dépêches sur dépêches, au gré de sa brillante imagination, sans consulter personne, et déjà il commençait à procéder à d’étranges nominations, lorsque l’investissement de Paris brusquement arrêta sa plume et le réduisit à l’impuissance. II avait eu le temps cependant d’envoyer un de ses confrères du palais, Me Senard, à Florence. On sait comment cet envoyé réellement extraordinaire s’acquitta de sa mission. Son premier souci fut de débarrasser l’Italie de Garibaldi et de ses pires révolutionnaires, pour nous les mettre sur les bras. La prise de Rome souleva son enthousiasme; il adressa au gouvernement italien une lettre de félicitation, hyperbolique, monumentale, et, dans un accès de lyrisme, enivré par les familiarités du roi, il le remercia avec

  1. L’Allemagne et l’Italie en 1870. — Un voyage fait à la suite du roi Victor-Emmanuel à travers l’Italie.