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crises ministérielles et nos luttes parlementaires. Qui ne sent combien la tâche de nos représentans à l’étranger est délicate et combien il importe que nos intérêts soient confiés à des hommes rompus aux affaires, d’un jugement sûr, épris de la vérité, plus soucieux de la dignité de leur pays que de la conservation de leur poste ! Mais encore faut-il, pour permettre à notre politique de bénéficier de la confiance et du crédit personnel dont jouissent nos ambassadeurs, leur laisser le temps de prendre racine, de rompre la glace, car les gouvernemens et les diplomates étrangers n’aiment pas les nouveaux visages et ne se soucient pas de livrer leurs secrets à des passans. La diplomatie est une franc-maçonnerie qui n’ouvre ses portes qu’aux initiés ; elle est une science, on l’a dit maintes fois, qui ne s’improvise pas ; il ne suffit pas d’être bien élevé, bien doué, de manier la plume avec dextérité, d’avoir de l’esprit et de l’à-propos; on est incomplet si, à tous ces mérites, on ne joint pas celui de l’expérience. On débute jeune dans chaque poste qu’on occupe, on a l’occasion d’étudier un pays nouveau, hommes et choses, et lorsque, après de longues années de stage, on arrive à la charge et à l’honneur de représenter son gouvernement, on a derrière soi des années d’expérience accumulée. On a de plus, dans une carrière aussi laborieusement remplie, contracté des amitiés, noué de nombreuses relations qui, un jour donné, constituent autant d’élémens d’information et de succès ; parfois même on retrouve un collègue, ami et compagnon de plaisirs des jeunes années, ministre des affaires étrangères de la cour auprès de laquelle on est accrédité. On a acquis enfin le tact que demandent les affaires, on est arrivé à saisir la portée exacte des choses au lieu d’en exagérer ou d’en amoindrir l’importance.

Nommé d’office par la défense nationale ministre en Italie, j’arrivai à Florence au mois de décembre 1870, dans des conditions qui, certes, n’étaient pas favorables au succès de ma mission, à l’heure où la France, écrasée par ses défaites, avait perdu tout prestige. Si dans ces tristes jours je pus rendre quelques services à mon pays, raviver les sympathies de l’Italie, étouffer la question de Nice, défendre les intérêts de l’église et conjurer le départ de la flotte italienne pour la Tunisie[1], je l’ai dû en partie à mes anciennes

  1. Dépêche de M. Jules Favre. — Versailles, 30 mars 1871 : « Je reçois ce soir vos dépêches du 21. Je suis heureux que l’affaire de Tunis soit terminée. Je ne puis que donner mon approbation à ce que vous avez fait. Vous avez compris qu’il fallait se préoccuper des intérêts de nos nationaux, créanciers de la Régence, et vous les avez pleinement garantis par vos deux protocoles. Vous avez très utilement procédé; vous avez arrêté le départ de la flotte italienne pour La Goulette, et, grâce à votre intervention, les intérêts français ont été sauvegardés. Je vous réitère, au nom du département, l’expression de ma reconnaissance pour votre ferme et intelligente conduite. » — Extrait du livre de M. Jules Favre : Rome et la République française en 1870 : « M. Rothan était assurément d’une incontestable capacité; il avait rendu des services réels, et déployé beaucoup d’habileté; mais il était nécessaire d’envoyer à Florence un personnage qui représentât plus intimement notre pensée; je jetai les yeux sur M. Horace de Choiseul, il me semblait plus propre que tout autre à devenir en Italie l’interprète de notre politique. »