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La diplomatie, depuis 1815, était en quelque sorte une carrière fermée, hiérarchique, régie par les traditions, dominée par l’esprit de corps. Elle ne s’ouvrait que par exception, pour des missions extraordinaires et temporaires, à des hommes marquans dans la politique, choisis en dehors des cadres du département des affaires étrangères, tels que M. de Chateaubriand, M. Guizot, le maréchal Sébastiani, M. de Persigny, le maréchal Pélissier, le duc de Morny, et, à la fin du second empire, le général Fleury et M. de La Guéronnière[1].

Les ministres défendaient leurs subordonnés ; ils ne craignaient pas de faire des observations au chef de l’état lorsque, accidentellement, il leur demandait de sanctionner des nominations irrégulières. C’est ainsi que le comte Walewski refusa à Napoléon III de nommer un de ses officiers d’ordonnance, le marquis de Cadore, ministre plénipotentiaire auprès d’une petite cour d’Allemagne[2]. M. de Cadore, cependant, n’était pas le premier venu; il était le petit-fils de Champagny, le ministre des affaires étrangères de Napoléon Ier ; il occupait dans la marine le rang de capitaine de frégate et passait pour un esprit distingué. Il n’en dut pas moins, malgré sa haute faveur aux Tuileries, faire un assez long stage de secrétaire d’ambassade à Rome, à Londres et à Berlin, avant d’être nommé envoyé à Carlsruhe. Si l’empereur, dominé par des idées préconçues, négligeait d’initier sa diplomatie aux secrets de sa politique, du moins il ne méconnaissait pas ses titres.

Les gouvernemens soucieux du bien de l’état ont le respect des droits acquis ; ils ne désorganisent pas les administrations ; ils ne procèdent pas, sur les dénonciations d’ambitieux subalternes, à des épurations systématiques, pour satisfaire des passions ou des appétits. Ils conservent au pays de précieuses ressources, ils ne coupent pas le blé en herbe. Une génération peut passer pour féconde lorsqu’elle met au service de notre politique extérieure une dizaine de diplomates, bien posés dans les chancelleries européennes, aptes à bien comprendre, à bien défendre notre influence et nos droits. Les sacrifier est une atteinte portée à nos intérêts les plus sacrés. Aussi la restauration, la monarchie de Juillet et le second empire, au lieu de proscrire les hommes de valeur,

  1. A son avènement au trône, l’empereur nomma, en dehors des cadres, le duc de Guiche ministre à Cassel et le marquis de Moustier à Berlin. Sauf ces deux nominations et, en 1868, celle de M. de La Guéronnière à Bruxelles, aucune atteinte ne fut portée aux promotions hiérarchiques du département.
  2. On raconte que le roi Charles X poussa le respect de la hiérarchie jusqu’à solliciter du baron Deffaudis, le directeur des consulats, comme une faveur spéciale, la nomination à un poste consulaire du marquis de Chateaugiron, qui, pendant l’émigration, avait rendu des services exceptionnels à sa maison.