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simple nécessaire était ce qui, pour d’autres, eût été, sinon le superflu, au moins la grande aisance. En effet, pour châtier la confédération des Guechtoula, responsable de l’attentat projeté contre Dra-el-Mizane, il ne convoqua pas moins de 15,000 hommes. De cet effectif, il forma d’abord deux divisions, commandées, l’une par le général Renault, l’autre par le général Jusuf, et constitua le surplus en réserve.

Jusuf entra le premier en opération. A quelques kilomètres au sud de Bordj-Boghni s’élevait dans la montagne une koubba célèbre, non-seulement dans tout le pays kabyle, mais dans l’Algérie entière; c’était le tombeau d’un des grands saints de l’islamisme, Sidi-Mohammed-ben-Abd-er-Rahmane, dont les restes mortels, par un miracle tout à fait exceptionnel, reposaient complètement et simultanément chez les Guechtoula, en Kabylie, et tout près d’Alger, au Hamma, d’où lui était venu le surnom posthume de Bou-Kobrine, « l’homme aux deux tombes. » La koubba fut respectée, mais le village qui l’entourait et la zaouïa, foyer de fanatisme et d’hostilité, furent rasés sans merci. Le 26 septembre, le maréchal Randon vint prendre le commandement des divisions réunies. Attaquées l’une après l’autre, les tribus dont l’ensemble forme la confédération des Guechtoula vinrent successivement à composition. Il ne restait plus à réduire que les Douala, tribu intermédiaire qui servait de trait d’union entre les Guechtoula et les Beni-Raten ; leurs villages furent saccagés et brûlés le 7 et le 8 octobre. Ce fut la fin de l’expédition. Les deux dernières journées coûtaient aux deux divisions 13 morts et 70 blessés. En hâtant le succès, la supériorité numérique de l’attaque avait d’autant réduit la probabilité des pertes.

Dans un ordre du jour daté de Tizi-Ouzou, le 10 octobre, le maréchal Randon annonçait expressément aux troupes la campagne décisive : « Vous ne direz pas un long adieu aux montagnes que vous venez de parcourir ; nous y reparaîtrons au printemps, et nous conquerrons cette Kabylie où nul n’aura pénétré avant nous. » Amis et ennemis, tous étaient publiquement et solennellement prévenus. C’était, comme au moyen âge, un défi, un appel à jour donné, un rendez-vous en champ clos.

Le 10 décembre 1856, le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, écrivait au maréchal Randon : « Cette opération sera longue; elle sera difficile, plus difficile peut-être que ne le croient ceux qui ont le plus étudié le Djurdjura, qui se sont déjà mesurés avec les Kabyles et qui se sont fait le moins d’illusions sur la résistance que pourront opposer, dans une lutte suprême, ces montagnards se battant pour le maintien d’une indépendance qui a résisté à toutes les tentatives essayées contre elle. A mon avis, c’est donc quelque chose de très sérieux que nous voulons entreprendre,