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« Pendant cette première partie de l’expédition des Babors, lisons-nous dans les Souvenirs d’un officier du 2e zouaves, le régiment eut à supporter plus de fatigues qu’à braver de véritables dangers. Il dut traverser un pays de montagnes aux pics élevés et déchiquetés, aux vallées déchirées et irrégulières, profondes, boisées dans le fond, rocheuses et escarpées près des crêtes, un pays où le fantassin ne pose qu’avec précaution le pied sur l’étroit sentier bordé de précipices effrayans. » Ce qui est dit ici en particulier d’un certain corps peut s’appliquer d’une façon générale à tous les autres. Il y eut beaucoup de fusillades, peu de combats dignes de ce nom.

Le 5 juin, de grand matin, à l’embouchure de l’Oued-Agrioun, sur l’emplacement du Tnine des Beni-Houssein, c’est-à-dire de leur marché du lundi, le gouverneur-général reçut eu grande pompe la soumission de toutes les tribus que les deux divisions venaient de réduire à l’obéissance et conféra l’investiture du burnous rouge à leurs cheikhs. C’était le dimanche dans l’octave de la Fête-Dieu. Le père Régis, abbé de la Trappe de Staouëli, venait d’arriver de Bougie ; Horace Vernet, en tournée d’Afrique, était arrivé en même temps. Alors, à la cérémonie politique succéda une solennité grandiose que le peintre des grandes scènes militaires a représentée sur la toile célèbre de la Messe en Kabylie ; mais si habile et fidèle qu’ait été le pinceau d’Horace Vernet, la plume ou plutôt le cœur de deux soldats a eu plus d’éloquence encore. L’un des deux est le lieutenant-colonel Cler, qui six ans plus tard, après avoir mérité par son héroïsme en Crimée l’admiration des Anglais, devait tomber, à la tête des zouaves et des grenadiers de la garde, à « Ponte-di-Magenta, » sous le coup mortel d’une balle autrichienne ; l’autre est Bosquet, c’est tout dire.

Écoutons d’abord, dans ses Souvenirs, l’officier du 2e zouaves ! « Sur un point élevé placé au centre du bivouac du gouverneur, on avait construit avec des tambours, des canons et des affûts, un autel qui n’avait d’autres ornemens que quelques fleurs des champs et des faisceaux d’armes. Il était surmonté d’une croix rustique faite avec deux branches noueuses de chêne-liège ; telle devait être la croix sur laquelle fut attaché le Christ. Pour encadrement, ce temple improvisé avait les beautés de la nature. Ni Saint-Pierre de Rome, avec ses magnifiques peintures, ni ces immenses cathédrales gothiques de la vieille France, avec leurs sculptures, leurs vitraux peints et leurs ombres pleines de mystères, ne pourraient rendre le grandiose de cette église toute primitive, dont la vue effaçait plusieurs siècles de l’histoire et rappelait Constantin dans les Gaules, Philippe-Auguste le matin de la bataille de Bouvines et Saint-Louis aux ruines de Carthage.

« Derrière l’autel apparaissaient les hautes montagnes de la Kabylie