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il n’avait pas le temps d’attendre, comme on approchait du scrutin, le secrétaire d’État, M. Bayard, a ni plus ni moins envoyé ses passeports au représentant de la reine Victoria. C’est ce qui s’appelle traiter lestement les affaires. Les partis américains se rendent coup pour coup, s’inquiétant peu de compromettre les relations de leur pays, pourvu qu’ils servent leurs intérêts électoraux !

On en était là il y a quelques jours à peine. Jusqu’au dernier moment, cependant, toutes les apparences semblaient être encore en faveur de M. Cleveland; l’issue au moins paraissait incertaine. Ce n’était visiblement qu’une apparence. Est-ce l’effet de la lettre de lord Sackville? Toujours est-il qu’à l’ouverture du scrutin, la dernière chance de M. Cleveland s’est évanouie; c’est l’état de New-York qui, avec son élection de trente-six délégués républicains, a décidé le succès de M. Harrison, en lui assurant une majorité. La question s’est trouvée ainsi tranchée. Quelles seront maintenant les conséquences de cette élection, de ce déplacement de pouvoir dans les affaires intérieures et dans les affaires extérieures des États-Unis? Elles peuvent être assez sérieuses. Évidemment le parti républicain revient au pouvoir avec ses idées, avec ses ressentimens, surtout avec son programme de politique protectionniste. Quant à la politique extérieure, les difficultés nées presque à l’improviste de l’élection présidentielle ne laissent pas d’être assez graves, tout au moins assez délicates. Lord Salisbury en parlait peut-être un peu légèrement ces jours derniers, en disant que ce n’était qu’une affaire électorale. Sans doute, c’est une affaire électorale. Seulement lord Salisbury oublie que M. Cleveland, qui a engagé la querelle au sujet de lord Sackville, est encore pour quatre mois à la Maison-Blanche, et que les républicains qui lui succéderont, qui tiennent à se ménager l’appui des Irlandais, ne sont guère mieux disposés à se montrer faciles dans leurs relations avec l’Angleterre. L’élection est faite aujourd’hui, soit; les difficultés n’existent pas moins, elles survivent au scrutin, et sans qu’on doive raisonnablement supposer qu’elles puissent conduire à une rupture, elles restent un embarras, une mauvaise affaire à liquider entre la république américaine et Angleterre,


CH. DE MAZADE.