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pour lui, avait affaire à forte partie. Son adversaire le plus redoutable n’était pas même son concurrent, M. Harrison. Son plus dangereux ennemi a été l’ancien secrétaire d’état, M. Blaine, qui avait échoué il y a quatre ans contre M. Cleveland, et qui, faute de se présenter lui-même cette fois, s’est fait le chef de la campagne républicaine sous le nom et sous le drapeau de M. Harrison. Il s’est fait le secrétaire d’état de M. Harrison pendant la campagne électorale, en attendant sans doute de l’être plus réellement après le succès. M. Blaine est un habile homme, habile par la parole comme par l’action, qui n’a pas craint de mettre en mouvement passions et intérêts, qui a su se servir de tout, créer des embarras à M. Cleveland, le mettre en suspicion, en le provoquant à des impatiences ou à des imprudences compromettantes, et c’est ainsi que la lutte est devenue de plus en plus vive. Elle s’est compliquée chemin faisant de péripéties et d’incidens qui n’ont pas été toujours heureux pour M. Cleveland.

Le premier de ces incidens a été l’affaire du traité signé par le cabinet de Washington avec l’Angleterre, au sujet des pêcheries du Canada. La majorité républicaine du sénat a commencé par rejeter le traité par un simple calcul électoral, pour ne pas paraître complaire à l’Angleterre, pour ne pas froisser les Irlandais répandue dans l’Union. M. Cleveland, à son tour, craignant pour sa popularité, perdant un peu le sang-froid, s’est hâté de répondre en désavouant sans plus de façon le traité qu’il venait de signer, et en proposant, du jour au lendemain, tout un système de prohibitions et de vexations à l’égard du Canada. Le sénat, sans se prononcer nettement, s’est jeté dans des diversions ; il a discuté sur la politique qu’il y aurait à suivre, Sur l’union douanière avec le Canada, et, en définitive, rien n’a été fait. On en est resté là en attendant le scrutin ; mais le plus bizarre et aussi le plus récent de ces incidens électoraux américains est, certes, cette querelle diplomatique dans laquelle le cabinet de Washington vient de s’engager avec l’Angleterre à l’occasion d’une lettre qui aurait été écrite par le représentant de la reine Victoria, lord Sackville. Comment cela s’est-il passé? Un sujet plus ou moins anglais, se disant naturalisé depuis peu Américain, résidant en Californie, aurait écrit à lord Sackville pour lui demander son avis, une direction dans les élections, et le ministre de la reine aurait eu la naïveté de répondre en exprimant des opinions de nature à compromettre la popularité de M. Cleveland. C’était tout simplement un piège, et les républicains, M. Blaine en tête, se sont hâtés de se servir de la malencontreuse lettre de lord Sackville pour ruiner la candidature démocrate de M. Cleveland. Le président-candidat de son côté s’est fâché. Par un mouvement d’irritation ou par calcul, il s’est cru obligé aussitôt de charger son envoyé à Londres, M. Phelps, de demander à lord Salisbury le rappel de lord Sackville, — et comme