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qui animent ces cinq actes et ces trois mille vers. Véritablement, on y sent circuler la joie de produire, le contentement naïf, mais profond, d’avoir inventé Rome, l’heureuse et communicative persuasion qu’avant lui, Dumas, personne ou presque personne n’avait connu l’empereur Caligula. C’est ce qu’il exprime au surplus lui-même de la manière suivante. « Les souvenirs imparfaits du collège étaient effacés ; la lecture des auteurs latins me parut insuffisante ; et je partis pour l’Italie, afin de voir Rome, car, ne pouvant étudier le cadavre, je voulais au moins visiter le tombeau. » Il veut dire, vous l’entendez bien, qu’en 1837, n’ayant pas jusqu’alors eu le temps d’y songer, il découvrit l’antiquité. Je me garderai de lui en faire un reproche, puisque c’est justement au légitime orgueil d’une telle découverte qu’il doit ce qu’il y a de plus caché, mais de plus intéressant aussi et de plus vivant dans son Caligula. Oui ; il s’aperçut qu’aux environs de l’an 40 de l’ère chrétienne, « Rome était non-seulement la capitale de l’empire, mais encore le centre du monde. » Il découvrit que les Césars, « à peine montés à ce faîte qu’on appelle l’empire, étaient pris d’un vertige soudain, d’une folie incroyable, d’un aveuglement inouï. » il se rendit compte enfin, pour la première fois, de ces « époques qui lui avaient été transmises, mais non pas expliquées, » et, regardant alors « le monde païen au point de vue providentiel, » il lui sembla que le christianisme était un événement de quelque importance dans l’histoire du monde. Et il s’applaudit d’avoir si bien vu, et il écrivit Caligula, et il s’imagina que a dans les replis de serpent de l’action, » ii y avait mis des « choses mystérieuses et saintes ; » et il se trompa ; mais il y en avait mis d’autres, pour son plaisir et pour le nôtre, il y avait mis son émerveillement de sa science toute neuve, sa robuste confiance en lui-même et son rire de bon géant. C’est ce que vous y retrouverez, si vous écoutez ces six actes avec l’attention qu’ils méritent, et qu’au lieu d’un tableau fidèle des premières années de l’empire romain, vous y cherchiez tout simplement ce que je propose d’appeler la première rencontre d’Alexandre Dumas avec l’antiquité.