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ainsi que l’a dit M. Jules Lemaître, — qui seul de nous a de ces raffinemens de dilettantisme, — qu’elle serait tout à fait séduisante, si elle, était seulement un peu plus brune que Mlle Reichemberg. Mais quoi ! je suis, si rebelle à son charme étatique, que je lui en voudrais tout de même de détourner mon intérêt, de M. et Mme de Chambreuil, dont je regrette que le cas psychologique, original et neuf, ne soit pas devenu, aux mains de MM. Meilhac et Ganderax, leur pièce tout entière. Et si je le regrette, ce n’est pas seulement pour moi, mais, je crains que ce mélange d’exotisme et de comique un peu gros me masque peut-être le vrai mérite de leur comédie et ce qui en fait la valeur singulière et rare.

Égal ou supérieur peut-être à celui de Marivaux, — dont je ne me dispenserai point de mettre ici le nom, parce que tout le monde l’a prononcé. à propos de Pepa. — Tel. est l’art savant, élégant et subtil, avec lequel ils ont analysé, entre M. et Mme de Chambreuil, le lent retour à de meilleurs sentimens l’un pour l’autre d’abord, et finalement à une résignation de bon goût, qui n’est pas de l’amour peut-être, mais qui ne laisse pas d’y ressembler, et qui peut très bien le remplacer dans la vie parisienne, — et aussi dans la vie de province . Car ne pensez-vous pas que depuis soixante ou quatre-vingts ans tantôt nous prenons en vérité l’amour bien au tragique ? et que, dans la réalité de la vie, pour un peu de passion, que je veux bien que l’on y mette, quand on le peut, il y entre aussi beaucoup de choses, moins tempétueuses, qui sont bonnes pourtant et qui peuvent devenir exquises, parce que, sans être rares, elles ne sont pas cependant si communes : des goûts semblables, une estime réciproque, les mêmes habitudes d’esprit, une sympathie qui en résulte, et de cette sympathie une agréable confusion de personnalités, dont on ne s’aperçoit, comme Mme et M. de Chambreuil, que lorsqu’on essaie d’en faire le départ, et de reprendre chacun la sienne. Les temps ne sont point encore tout à fait passés, de l’amour romantique, mais ils le seront bientôt, je l’espère ; et je ne vois vraiment pour s’en plaindre que les faiseurs de mélodrames et de romans-feuilletons. Toutes ces nuances, infiniment plus délicates à saisir et à exprimer que l’amour-passion des Saint-Preux ou des Werther, des Valentine et des Indiana, je ne puis d’ailleurs ici qu’indiquer, très sommairement et très grossièrement, avec quelle sûreté, quelle précision et quelle élégance les auteurs de Pepa les ont démêlées et rendues. Mais ce que je puis dire, c’est que, depuis longtemps, nous n’avions vu, même sur la scène de la Comédie-Française, des sentimens plus subtils, plus adroitement « anatomisés, » — c’était l’ancien mot, — ou encore, pour me servir d’une expression de Marivaux, l’amour mondain plus ingénieusement tiré de la « niche » où il se cachait à lui-même.