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D’ailleurs, le danger n’est pas pour la république dans les généraux dont l’attitude uniquement militaire est toujours restée d’une correction sans reproche. A-t-on déjà oublié que le plus grand péril qu’elle ait couru ne lui est pas venu du duc d’Aumale, de la haute valeur militaire duquel l’armée a été iniquement privée, mais bien du plus récent des radicaux, du général politicien aux reflets les plus divers, du plus acclamé des favoris que la démagogie ait imposés au ministère de la guerre ? On ne saurait rien craindre de généraux dont une loyale carrière est restée fidèle à n’importe quel sentiment personnel, toujours maîtrisé par le respect de l’état, par la passion du bien public, et de la prospérité de l’armée. Au contraire, on peut tout redouter ide ceux qui ne sauraient avoir pour la loi plus de respect qu’ils n’en ont pour eux-mêmes.

Quand il fallut sauver la république de ce danger, c’est aux moins politiciens de ses généraux, c’est à leurs sentimens de discipline qu’elle a fait appel. C’est grâce à la dignité de leur carrière que ces chefs, légalement réunis en conseil militaire, ont pu écarter de l’armée le général qu’ils ont jugé indigne d’y rester.

L’armée a déjà subi bien des épreuves, bien des humiliations ; elle a été ébranlée dans sa base par de terribles secousses, à ce point que ce qui excite le plus l’étonnement des nations étrangères, c’est de la voir encore debout et vivace malgré les efforts violens des démolisseurs qui l’assaillent. Mais il n’est pas d’arbre si solide qui à la longue ne soit abattu par la cognée infatigable. Or, le plus mortel des coups qu’elle puisse recevoir serait l’outrage de subir un jour à sa tête le général qu’elle a justement frappé d’indignité. Le chef de l’état a pu, d’un trait de plume, supprimer de l’armée des princes dont le seul tort se rencontrait dans leur origine royale. Mais quand un général est sorti de l’armée condamné militairement par l’avis unanime d’un conseil d’enquête, il y a là un fait de justice imprescriptible et sans appel, contre lequel aucune puissance, fût-ce celle des électeurs, ne saurait prévaloir, sans anéantir du même coup toutes les lois, sauvegarde des sentimens de discipline et d’honneur qui sont l’âme de l’armée.