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qu’on gagnerait ainsi, de combien d’autres encombrantes et dangereuses n’alourdirait-on pas l’armée ? D’ailleurs, on doit voir plus haut que des questions de personnes ; et, si intéressantes qu’elles soient, il n’est jamais permis de leur sacrifier l’intégrité autrement salutaire d’un principe. Il faut que l’eau coure pour être vive ; il faut que la sève circule librement dans l’arbre pour qu’elle puisse porter la vie aux plus petites branches. Si on l’étrangle à une hauteur quelconque, l’arbre dépérit et meurt.

Retenir au-delà du terme de leur carrière des généraux que la politique aura choisis, c’est arrêter la poussée de légitime ambition des jeunes officiers et stériliser leur ardeur ; c’est, résultat plus grave, substituer à une règle naturelle l’arbitraire d’un conseil de cabinet qui, changeant tous les trois mois, encombrera sans cesse les hauts commandemens de favoris à perpétuer. L’armée serait dangereusement atteinte dans les principes physiques de son renouvellement ; elle serait plus mortellement frappée dans son ressort moral. Choisirait-on le moment même où l’empereur d’Allemagne émonde toutes les branches caduques de son armée pour laisser sur la nôtre tout le bois mort et pour en arrêter la sève ?


En présence des changemens incessans que la politique apporte dans les personnes et dans les choses du gouvernement, il est urgent que le conseil supérieur de la guerre soit fait assez puissant pour sauvegarder l’armée, qui a besoin d’unité dans sa direction, de suite dans son travail. Le ministre de la guerre, tout en restant le chef de l’armée, devrait en être spécialement l’administrateur et le représentant devant le parlement. On le pourrait alors, sans danger, changer à volonté comme un autre ministre, à la condition absolue de faire résider le commandement technique de l’armée dans le conseil supérieur de la guerre.

Il faudrait réserver à ce conseil la préparation à la guerre, l’établissement des plans de la défense, la direction de l’état-major-général, les propositions concernant les hauts commandemens et les nominations de généraux, la préparation de tous les règlemens d’instruction, l’approbation préalable et obligatoire de tous les projets de loi uniquement militaires.

Cette institution ne saurait faire courir aucun danger à l’état, d’abord parce que les membres de ce conseil, nommés par le président de la république, sont révocables par lui, ensuite parce qu’ils n’exerceraient en aucune manière le commandement effectif des troupes, avec lesquelles ils ne seraient en contact que par intermittence, au moment des grandes manœuvres et de leurs hautes inspections.