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effective et pratique des problèmes que Descartes, par oubli, manque de loisir, prudence ou ironie peut-être, avait négligé de traiter. C’est, en effet, avec l’accroissement qu’elle a reçu des enrichissemens de la science, la principale modification que la doctrine cartésienne ait subie du XVIIe au XVIIIe siècle : elle est descendue du ciel en terre, et se désintéressant des questions qui, comme quelques-unes de celles où s’était complue l’aventureuse imagination du maître, sont étrangères ou indifférentes à la plupart des hommes, elle a pris à la vie l’intérêt qu’une doctrine y doit prendre, toutes les fois qu’elle veut agir, et ne pas finir en une espèce de curiosité de cabinet. Mais c’est bien elle, nous la reconnaissons, c’est son esprit qui anime également le matérialisme de Diderot ou le spiritualisme de Jean-Jacques ; et la fortune que Pascal ou Bossuet l’avaient empêchée de faire, elle la réalise au XVIIIe siècle. Qu’importe après cela que la physique de Newton se soit substituée à celle de Descartes ? ou la doctrine de la sensation transformée à celle des idées innées ? Nous savons assez que, dans l’explication scientifique de l’univers ou de l’homme, il y aura toujours quelque chose de caduc et de ruineux, puisque, comme on l’a dit, la science, ne consiste guère qu’à reculer, de génération en génération, ou à déplacer las bornes de l’ignorance.

Que si maintenant nous avons peut-être insisté longuement sur La question, c’est qu’indépendamment de l’intérêt qu’il y a sans doute à se faire une juste idée d’un Pascal et d’un Descartes, il nous a paru que la solution que nous en proposons pouvait éclairer d’une lumière nouvelle plusieurs points importans de l’histoire des idées et de la littérature du XVIIe siècle. Trois grandes influences, pour ne rien dire aujourd’hui des moindres, auxquelles aussi pourtant il nous faudra faire leur part, se disputent au XVIIe siècle la direction des idées et, la domination des esprits. la plus considérable est peut-être ; celle des trois dont nous n’avons presque rien dit encore, et que nous étudierons prochainement, en étudiant ce que l’on peut bien appeler, comme on le verra, la philosophie de Molière. C’est au moins celle dont les origines remontent le plus haut, et dont aujourd’hui même les effets ne sont pas épuisés.. Le cartésianisme et le jansénisme sont les deux autres dont nous venons de voir la lutte se terminer par le triomphe de la première. Je suis d’ailleurs persuada que rien, qu’en essayant de rattacher à l’une ou à l’autre des trois beaucoup d’idées communément reçues, nous nous apercevrons qu’elles doivent être assez profondément modifiées. C’est ce que je tâcherai de faire voie, et ce que j’espère que l’on reconnaîtra dans la suite de ces Études.


FERDINAND BRUNETIERE.