Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est peut-être dans la prédication de Bourdaloue que nous le trouverions. On a dit de lui qu’il était une réponse vivante aux Provinciales, et on a eu raison, car il est difficile d’enseigner une morale plus sévère que la sienne, plus pure, plus étrangère à ces compromissions que Pascal avait éloquemment reprochées aux jésuites. On a pu faire un grief à Bossuet, — injustement, je dois le dire, mais avec une apparence de raison quelquefois, — de sa complaisance pour Louis XIV, notamment dans les affaires de la régale et des libertés de l’église gallicane. Nous-même nous avons essayé de montrer que, dans les Sermons de Massillon, il apparaissait déjà quelques symptômes de la morale toute laïque du XVIIIe siècle. Bourdaloue, comme il est par excellence, au XVIIe siècle, le prédicateur orthodoxe et catholique, est aussi et en même temps le prédicateur ou le moraliste rigide, s’il en fut — pour ne pas dire impitoyable. Peut-être même est-ce ici l’une des raisons de son prodigieux succès. Dans la morale de Bourdaloue, l’opinion publique aima cette sévérité plus grande qu’elle avait appris à apprécier dans les Provinciales. Car c’est là ce qu’il y a de surtout intéressant pour nous. Contre les attaques de Pascal et du jansénisme, si Bourdaloue a relevé la réputation compromise de l’ordre des jésuites, c’est « en rompant tout pacte » avec La casuistique, et en retournant leurs propres armes contre ses adversaires. Dans les douze ou quinze volumes de Sermons qui nous restent de lui, il n’y en a pas un, je dis même ceux qu’il a prêches sur la Fréquente communion, — auxquels Port-Royal tout entier n’eût pu souscrire. Et sans doute on peut bien dire qu’avant d’être inspirés du jansénisme, ils le sont du christianisme ou du catholicisme lui-même. Mais ce serait mal entendre et mal poser la question. Ce que l’on dit, en effet, ce n’est point du tout que le jansénisme ait apporté au monde une morale nouvelle, mais uniquement qu’il est venu rappeler la morale traditionnelle à une rigueur dont les Provinciales nous sont un garant assez sûr qu’elle s’était écartée sous l’influence de diverses causes.

Est-il nécessaire de multiplier les exemples? et si nous retrouvons jusque dans les Sermons de Bourdaloue la trace visible de l’influence du jansénisme, est-il nécessaire de montrer qu’elle est plus visible encore dans les Sermons de Massillon et dans l’œuvre entière de Bossuet ? Sauf un ou deux cas, on pourrait presque dire que Bossuet, dans la question de doctrine, a évité de se prononcer sur le sujet du jansénisme. A tout le moins s’en faut-il beaucoup qu’il l’ait jamais attaqué comme il fit le protestantisme ou le quiétisme. Mais, sur la question de morale, il suffit de rappeler que c’est lui qui deux fois, à vingt ans d’intervalle, en 1682